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« Le Moine » de Lewis, chef-d’œuvre de la littérature gothique

le 22/03/2022 par Pierre Ancery - modifié le 23/03/2022
Matthew Gregory Lewis, auteur du "Moine", par Henry William Pickersgill, 1809 - source : WikiCommons
Matthew Gregory Lewis, auteur du "Moine", par Henry William Pickersgill, 1809 - source : WikiCommons

Paru en 1796, le roman surnaturel et transgressif de Matthew Gregory Lewis Le Moine crée le scandale. Œuvre emblématique du gothique anglais, il sera admiré par le marquis de Sade, Victor Hugo ou encore Antonin Artaud, qui le retraduira en 1931.

Espagne, XVIIe siècle. Ambrosio est un moine admiré de tous pour sa vertu et ses talents de prédicateur. Secrètement orgueilleux, il est pourtant séduit par Mathilde, une femme qui s’est déguisée en moine pour l’approcher, et qui se révélera être une incarnation du Diable. Succombant à la tentation, Ambrosio va plonger dans le péché et le crime...

Matthew Gregory Lewis n’a que dix-neuf ans lorsqu’il écrit l’œuvre terrifiante qui lui vaudra de passer à la postérité. Rédigé en dix semaines à La Haye, Le Moine (1796) appartient au genre gothique, né en Angleterre en 1764 avec Le Château d’Orante d’Horace Walpole.

On retrouve dans l’œuvre de Lewis la plupart des éléments caractéristiques du gothique littéraire : une esthétique inquiétante (cryptes, apparitions surnaturelles), le thème du Diable, la recherche de l’exotisme (l’Espagne) et les histoires intercalées dans l’intrigue principale (comme celle de la Nonne sanglante). Éléments auxquels s’ajoutent un érotisme latent et une mise en scène de la perversion qui vont émouvoir durablement les contemporains.

Le livre paraît deux ans après Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe (1794), autre monument du genre. Aucun roman gothique, pourtant, n’aura l’influence du Moine. Gigantesque succès de scandale à sa sortie, il est d’abord interdit par la censure britannique puis il reparaît dans une version corrigée et épurée, acquérant pour longtemps une réputation sulfureuse.

Lorsqu’il est traduit dans la France post-révolutionnaire de 1797, le roman fait là aussi sensation [première édition française à lire sur Gallica]. Son succès ne se démentira pas : à chaque nouvelle édition, de nombreux articles reviennent sur le livre.

Signalant en 1798 la sortie d’une quatrième édition, La Gazette nationale qualifie ainsi Le Moine de roman « extravagant » et « dégoûtant ». En 1807, lorsque Le Moine est à nouveau édité, Le Journal de l’Empire raconte le scandale provoqué une décennie plus tôt par sa parution :

« On se souvient encore du succès prodigieux qu’obtint, il y a quelques années, la traduction de ce livre [...]. Le sujet était nouveau, conçu avec force, exécuté d’une façon brillante et hardie [...].

En Angleterre, le succès avait été encore plus grand, car il avait été contrarié [...]. Le livre fut à peu près prohibé dans les cabinets de lecture : il y eut même plusieurs journalistes qui s’armèrent en vrai Don Quichotte, pour la morale qui n’était pas attaquée [...].

A Dieu ne plaise que je voulusse jamais me faire le prôneur d’un livre qui serait vraiment obscène et dangereux ! Mais Le Moine n’est ni l’un ni l’autre. Le but en est incontestablement très moral. Quelques détails, je l’avoue, ne sont pas sans doute d’un pinceau très chaste ; mais un roman n’est ni un sermon ni un livre de piété. »

La même année, La Gazette nationale parle longuement du Moine dans un article louangeur, mais qui n’est pas exempt de mépris pour ce qu’on appellera plus tard la littérature de genre - une attitude qu’on retrouvera souvent dans la critique littéraire française du XIXe siècle :

« L'effet de ce livre terrible fit époque en Angleterre, et la traduction française tourna, pour un moment, plus d’une tête parmi nous [...].

C'est une production de génie, écrite avec tout le feu de la jeunesse ; son plus grand défaut est d’avoir introduit et accrédité parmi nous ce genre détestable de drames et de romans, dont le diable et les sorciers font tous les frais, mais dont aucun ne rachète ces bizarreries monstrueuses par des beautés comparables à celles du Moine. »

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