L’État de droit dans l’UE |
Le 1er janvier, la Hongrie a définitivement perdu plus d’un milliard d’euros de fonds européens en raison de manquements à l’État de droit, a rapporté la semaine dernière à notre rédaction la Commission européenne, l’une des deux branches exécutives de l’UE, confirmant une information du Financial Times. Il s’agit d’une première tranche de fonds suspendus en décembre 2022. L’UE a renforcé, en 2014 puis en 2020, ses pouvoirs en matière de lutte contre les atteintes à l’État de droit dans les États membres.
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« L’État de droit garantit que toutes les autorités publiques agissent toujours dans les limites fixées par la loi, conformément aux valeurs de la démocratie et aux droits fondamentaux, et sous le contrôle de juridictions indépendantes et impartiales », définit la Commission européenne sur son site. Elle le caractérise par plusieurs principes, dont la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, l’égalité devant la loi, l’indépendance de la justice ou encore l’interdiction de l’exercice arbitraire du pouvoir exécutif. Le traité sur l’Union européenne, qui a été signé en 1992 à Maastricht pour instituer l’UE, écrit que la politique de l’UE « contribue à l’objectif général de développement et de consolidation de la démocratie et de l’État de droit ». Le respect de l’État de droit fait partie des critères que doivent remplir les États candidats à une adhésion à l’UE.
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2014 |
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Adoption d’un cadre européen |
La Commission européenne adopte en 2014 un cadre pour l’État de droit. Ce texte visant à le protéger prévoit un processus à mettre en œuvre « s’il existe des indices clairs d’une menace systémique envers l’État de droit ». Selon ce processus, la Commission européenne effectue une évaluation, adresse une recommandation à l’État membre puis contrôle son respect, sous peine de sanctions. Plusieurs « crises de l’État de droit » avaient montré que le droit européen n’était « pas adapté » pour les résoudre, analysent les professeurs de droit Laurent Pech et Dimitry Kochenov dans un article publié en 2015 sur le site de la Fondation Robert-Schuman, un cercle de réflexion franco-belge. Ils mentionnent des décisions des gouvernements hongrois et roumain, mais aussi français, ce dernier ayant tenté en 2010 « de mettre secrètement en œuvre une politique d’expulsion collective » des Roms.
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2017 |
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Menace de suspension du droit de vote au Conseil de l’UE |
La Commission européenne déclenche pour la première fois en 2017 l’article 7 du traité sur l’Union européenne contre la Pologne. Cet article prévoit depuis sa réécriture à Lisbonne en 2009 la possibilité de « suspendre certains des droits » d’un État membre, y compris son droit de vote au sein du Conseil de l’UE, qui rassemble les ministres des États membres en fonction du sujet concerné. La Commission européenne reproche au parti conservateur au pouvoir depuis 2015 en Pologne d’avoir mis en place une réforme menaçant l’indépendance du système judiciaire, par exemple en donnant au ministre de la Justice le pouvoir de nommer et de révoquer les présidents des tribunaux. En 2018, l’article 7 est à nouveau enclenché, cette fois par le Parlement européen contre la Hongrie, pour plusieurs manquements relatifs à la liberté de la presse ou encore aux droits des minorités. Les procédures ouvertes contre la Pologne et la Hongrie donnent lieu à des auditions, sans aboutir à un vote. Celle visant la Pologne sera close par la Commission européenne en mai 2024 après des améliorations.
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2020 |
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Conditionnalité des fonds européens |
En novembre 2020, la Hongrie et la Pologne mettent leur veto à l’adoption du plan de relance européen, alors que sévit la pandémie de Covid-19, ainsi qu’au budget de l’UE pour la période de 2021 à 2027. Ils cherchent ainsi à empêcher l’adoption d’un autre texte qui prévoit de conditionner l’attribution des fonds européens au respect de l’État de droit. Ce mécanisme, proposé par la Commission européenne, doit permettre au Conseil de l’UE de « prendre des mesures, telles que la suspension des paiements ou des corrections financières » contre un État membre ne respectant pas l’État de droit. La Hongrie et la Pologne lèvent leur veto trois semaines plus tard, après avoir obtenu un « compromis » sur le mécanisme de conditionnalité, relate le site d’information sur l’UE Touteleurope.eu. Adopté en décembre 2020 par l’UE, ce mécanisme a été activé une seule fois, en 2022, contre la Hongrie. « Au total, 19 milliards d’euros de financements européens destinés à ce pays sont actuellement bloqués », selon Vie-publique.fr, un site de l’administration française.
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2024 |
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Plusieurs pays critiqués |
Dans son rapport de 2024 sur l’État de droit dans les États membres, publié chaque année depuis 2020, la Commission européenne salue une « dynamique de réforme positive ». Elle souligne le fait que 68 % des recommandations qu’elle a formulées en 2023 ont été suivies de progrès, même partiels. Ce rapport dénonce cependant la situation en Hongrie, le financement des partis à Chypre et en Italie ainsi qu’un risque de « pressions » sur le pouvoir judiciaire en Espagne, en Italie, en Lituanie et en Slovaquie. La France fait aussi l’objet de critiques sur les relations de certains hauts fonctionnaires avec les lobbys et sur « la transparence de la propriété des médias ». L’UE dispose « de plus en plus » de moyens pour faire respecter l’État de droit, alors qu’elle en était « en partie démunie » au début des années 2010, analysait le professeur de droit Sébastien Platon dans une interview publiée sur le site Touteleurope.eu en 2022. Il estimait toutefois que « des angles morts » rendent ces moyens difficiles à appliquer, comme le fait que le recours à l’article 7 soit « à la merci des États ».
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LE SAVIEZ-VOUS ? |
La France championne des procédures abusives |
L’UE a définitivement adopté l’an dernier une directive contre « les poursuites-bâillons ». Il s’agit des poursuites « stratégiques altérant le débat public », car ciblant des journalistes ou des défenseurs des droits humains, explique le site du Conseil de l’UE. Cette législation permet par exemple de faire payer des frais de procédure au requérant. L’ONG de lutte contre les poursuites-bâillons Case a montré dans un rapport publié en juillet 2023 qu’avec 76 procédures-bâillons recensées entre 2010 et 2022, la France est le troisième pays de l’UE qui pratique le plus ces poursuites abusives, derrière la Pologne et Malte.
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