Delphine Minoui
02/11/2007 | Mise à jour : 22:52 |
Les habitants de cette ville du Liban-Sud s’attachent à leur patrimoine, comme un défi lancé aux multiples guerres qui firent rage au pays du Cèdre.
De notre envoyée spéciale à Tyr (Liban)
Partout, des ruines. Mais celles-ci ne portent ni les stigmates de la guerre civile, ni ceux du conflit contre Israël de l’été 2006. Seulement la marque d’une riche civilisation dont l’érosion n’a pour principale origine que le temps qui passe. Des allées de colonnes romaines à perte de vue, des mosaïques aux couleurs passées, des pierres majestueuses qui déboulent jusqu’au bord d’une eau méditerranéenne bleu azur… De Tyr, cité antique portuaire de plus de 2 750 ans, se dégage une étrange impression de calme. Et de beauté ancestrale. «C’est un peu notre colonne vertébrale, celle qui tient toujours debout quand tout s’écroule», souffle Zahra Jaffar, visiteuse solitaire au milieu d’un des sites archéologiques disséminés à travers la nouvelle ville. L’instabilité politique qui prévaut au Liban a dissuadé les derniers touristes occidentaux de s’aventurer au sud du fleuve Litani. Mais pour cette habitante de Bazourieh, plus au sud, Tyr s’impose aujourd’hui comme un pèlerinage hebdomadaire. «Je m’y sens en paix», dit-elle.
Pour rejoindre cette cité culte de la Phénicie méridionale, à environ 80 km au sud de l’agitation qui secoue actuellement les différentes factions au pouvoir à Beyrouth, il faut passer les postes de contrôle de l’armée libanaise. Sur la route qui mène vers cette ancienne île, on croise également les Casques bleus de la Finul, la force internationale qui veille au maintien de l’ordre. Mais une fois arrivé, la mythologie reprend le dessus. L’histoire de Tyr est, en effet, liée à tous les grands événements des temps anciens.
Un «âge d’or» inoubliable
Au cours des siècles, la métropole abrita successivement les Phéniciens, les Perses, les Grecs, les Romains, les Byzantins, les Arabes, les Croisés, les Ottomans. Aujourd’hui, les principaux vestiges – l’hippodrome, l’arc de triomphe et la nécropole – datent de l’époque romaine. Mais dans les esprits, l’époque phénicienne reste celle d’un «âge d’or» inoubliable, où durant dix siècles (à partir de 1200 av. J.-C.), les riches marchands de ce port en pleine expansion se transformèrent en «colporteurs des mers».
«C’est ce riche héritage commun que nous cherchons à préserver, pour apprendre ce qui nous unit au-delà de ce qui nous sépare», explique Maha el-Khalil Chalabi, à la tête de l’Association internationale pour la sauvegarde de Tyr (AIST). Native de la ville, cette femme de caractère se bat depuis maintenant vingt-cinq ans pour sensibiliser l’opinion mondiale sur l’importance de la conservation du legs archéologique de ses terres d’origine. Avec, en filigrane, une ambition personnelle : utiliser ce patrimoine comme base commune à tous les Libanais, dans un pays déchiré par les conflits intercommunautaires. Les habitants de Tyr sont d’ailleurs fiers de rappeler que tout au long de la guerre civile (1975-1990), les communautés chiite, sunnite et chrétienne cohabitèrent paisiblement à l’extrême sud du pays, à quelques kilomètres de la frontière avec Israël. «L’anarchie qui régnait à l’époque laissa, en revanche, libre court à différents groupes qui organisèrent leurs propres fouilles et qui pillèrent des pans entiers du patrimoine national», regrette Maan Arab, l’ancien responsable du comité local de protection des sites.
En pleine ville, la carcasse d’une tour en ciment rappelle également la violence meurtrière des tirs de missiles israéliens, à l’été 2006. Mais à l’exception de fresques funéraires qui se seraient en partie décollées, à cause des vibrations causées par les bombes, les principaux vestiges archéologiques ont été épargnés. En revanche, tiennent à souligner les membres de l’AIST, ce sont d’autres fléaux qui menacent aujourd’hui la richesse du patrimoine local : l’extraction de sable sur le littoral, le remblaiement du port, ou encore le tracé de l’autoroute du Sud.
«Quand les bombes vous tombent sur la tête, protéger votre patrimoine constitue le dernier de vos soucis, reconnaît Maan Arab, qui s’est enfui dans les montagnes du Chouf, plus au nord, au pic de la crise de 2006. Mais quand on rentre, il n’y a rien de plus rassurant que de voir notre histoire tenir tête aux guerres. Face à l’incertitude politique actuelle, ces sites constituent le plus bel héritage qu’on peut offrir aux nouvelles générations.»
http://www.lefigaro.fr/culture/2007/11/02/03004-20071102ARTFIG00425-tyr-fait-de-la-resistance-culturelle-.php