Enchères. La bibliothèque Doucet n’a jamais récupéré le legs de la compagne du poète.
Le succès de la dispersion d’une collection René Char par l’étude Renaud-Giquello à Drouot, le 5 décembre, cache une réalité moins reluisante. Jamais ces «aphorismes» et «dialogues», cette suite de manuscrits, livres rares, lettres, dessins, aquarelles ou gravures n’auraient dû être mis à l’encan : ils avaient été donnés par la compagne du poète, disparu en 1988, à la bibliothèque littéraire Jacques-Doucet. «Cette vente est l’histoire d’un don dédaigné» : Anne Favre-Reinbold avait écrit un texte liminaire destiné au catalogue, finalement abandonné par pudeur. Elle a bien voulu nous en confier le récit.
Fin 2000, elle a offert, sans contrepartie, la totalité des archives accumulées durant les vingt ans partagés à l’Isle-sur-la-Sorgue. Le don «est accepté avec reconnaissance» par cette bibliothèque prestigieuse qui dépend de l’université de Paris. Elle est reçue par un directeur, Yves Peyré, charmant et mondain. Mais il n’ira jamais la voir.
Listes. Anne Reinbold attend une aide pour inventorier cette masse, d’autant qu’elle redoute un peu l’émotion de cette plongée. Rien ne vient. Elle finit par s’y mettre, dressant des listes, dont chaque feuillet sera signé par le directeur, sans voir aucun document. Elle empaquette tout. En novembre, onze mois après son offre, elle reçoit un courrier d’acceptation, dans lequel le recteur, René Blanchet, la remercie de son «précieux concours», lui assurant que, comme requis, sa collection «ne sera jamais divisée, ni séparée de la bibliothèque Doucet». «La bibliothèque est objectivement enrichie et Char ne peut qu’y gagner», s’enthousiasme Yves Peyré, quelques jours plus tard. Mais personne ne vient prendre livraison des cartons. Yves Peyré semble toujours débordé. «Tout a été réglé concernant votre donation, il ne s’agit que de prendre possession au mieux des documents», écrit-il en juillet 2002.
Bobards. Sans nouvelles, cet été, elle rouvre les cartons, et remet les ouvrages en place. Elle en avertit la bibliothèque. En mars 2003, le directeur la prie de tout remettre en caisses. Ce qu’elle fait. Le 8 avril, il promet le transport pour septembre. Toujours rien. On lui raconte des bobards, allant jusqu’à lui parler d’un transporteur qui ne s’est jamais manifesté. Finalement, plus personne ne répondra à ses appels ou courriers. Lassée de tant d’«impéritie des institutions», elle se résigne à une vente, qui rapportera plus de 500 000 euros. «Il s’agissait d’un ensemble particulièrement cohérent», se désole-t-elle. On pouvait y retrouver le parcours du poète, de la notule jetée à l’aube, reformulée en carte postale, jusqu’aux épreuves corrigées. Une eau-forte de Giacometti accompagne une édition originale de Poème des deux années, avec cet envoi : «Pour Anne, des années que les dieux n’ont pas compté pour nous, R.»
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