«Un jour, je sentis que sous le pavé de Paris il y avait la terre.» Faisons mentir Jean Follain : sous Paris, il y a l'eau…
Depuis que ses premiers habitants ont élu domicile entre les îles et les boucles de la Seine, Paris n'a cessé de combattre l'eau, pour mieux la domestiquer. Les Gallo-Romains, puis les rois tentèrent d'en dompter les flux pour irriguer habitants et jardins. Mais c'est au XIXe siècle que la gestion des eaux parisiennes fut véritablement prise en main.
L'Eau et Paris, un beau volume richement illustré, retrace cette aventure.
Si l'on continue à critiquer les modifications que le baron Haussmann fit subir à la physionomie parisienne au Second Empire, ce préfet visionnaire a sauvé Paris du cloaque.
Supervisée par l'ingénieur Eugène Belgrand, l'installation des égouts fut un travail titanesque. Véritable doublure de la ville, ce formidable réseau de galeries souterraines fut creusé sous les maisons pour drainer, évacuer et filtrer les eaux usées. Trop longtemps, elles se contentaient de disparaître dans le sol, pour se mêler aux eaux pluviales avant de reparaître dans les puits et les sources.
Hygiène, quand tu nous tiens !
L'hygiène, parlons-en : c'est une véritable révolution des mentalités que doit imposer l'»esprit haussmannien». Jusqu'alors, la prise d'un bain était vue comme une activité licencieuse ! Pousser les gens à se laver, fût-ce aux bains publics flottants de la Samaritaine, était un bouleversement. C'est qu'elle se méfie de l'eau, cette population qui doit affronter des crues, des tempêtes de neige, de fâcheuses débâcles. Il faut qu'un philanthrope comme sir Richard Wallace offre à la ville, en 1871, quarante fontaines publiques (deux par arrondissement) pour qu'on ose s'y abreuver. Et puis cette eau, d'où vient-elle ? Pendant des années, Paris buvait, voguait, se lavait, se rinçait, s'écoulait et se vidait aux frais d'un seul cours : la Seine. Imaginez la fange ! Ne parlons même pas de la Bièvre, ruisselet de la rive gauche que Huysmans surnommait «le fumier qui bouge».
Des réservoirs en hauteur
Paris avait besoin d'une eau qui fut saine et sans tache. Belgrand s'aperçut vite que les sources du bassin parisien étaient peu fiables. Qu'à cela ne tienne ! Pour arroser Paris, on irait se servir… en Champagne. Et voilà des kilomètres de dérivations, canaux et autres tuyaux mis en place pour filer jusqu'à la capitale. Petit problème : si la vallée de la Seine est en contrebas, Montmartre, Belleville et Ménilmontant sont plus haut. Il faudra donc pomper et construire des réservoirs en hauteur. Cela explique l'étrange château d'eau accolé au Sacré-Cœur. Mais qui connaît l'extravagant réservoir de la rue Copernic, en plein XVIe arrondissement ? Les voisins de la place Victor-Hugo longent souvent cette haute muraille de pierre. S'ils volaient, ils découvriraient un bassin équivalent à plusieurs terrains de football ! Ce fascinant lac urbain alimente les lacs du bois de Boulogne. L'oasis a pourtant sa part d'ombre : son sous-sol est « agrémenté » de cachots construits par la Gestapo durant l'Occupation.
Comme l'écrivait Jacques Yonnet dans Rue des maléfices, «Il n'est pas de Paris, il ne sait pas sa ville, celui qui n'a pas fait l'expérience de ses fantômes»…
Il y a cent ans, la crue
À l'heure du succès du film 2012, la crue de 1910 est notre petite catastrophe à nous, notre apocalypse gauloise. Depuis un siècle, ses photos font frissonner les Parisiens.
En quelques jours du mois de janvier 1910, le niveau de la Seine est monté à 8,62 m. On avait connu pire en 1658 et 1740, mais à l'aube du XXe siècle, cet événement semblait (déjà) de la science-fiction ! Eugène Belgrand avait beau avoir réclamé de plus hauts parapets pour protéger les quais, l'esthétique a primé : et voilà que ça déborde…
Situés en contrebas du fleuve, les quais de la future ligne C du RER se remplissent d'une eau qui se répand jusqu'au Faubourg Saint-Germain et inonde tout le plat de la rive gauche. De même, rive droite, la construction du métro permet au fleuve de s'écouler jusqu'à la gare Saint-Lazare.
Lors, tout s'arrête : électricité, gaz d'éclairage, téléphone, eau potable, chauffage de ville… Trains, tramways et, bien entendu, métros sont immobilisés, tandis que les rues sont de plus en plus inondées. De nombreux ponts sont fermés, cloisonnant les rives comme le mur de Berlin.
Tels des doges vénitiens
Les rues se hérissent de passerelles bricolées ; on va d'immeuble en immeuble, dans des canots ; on jette ses ordures dans la Seine ; les députés entrent à l'Assemblée tels des doges vénitiens…
Passées les heures spectaculaires (à peine dix jours) viennent la décrue et les comptes. La Seine mettra deux mois à regagner son lit. Deux mois durant lesquels on constatera les dégâts et les ruines. Plus que Paris, la banlieue aura souffert de la crue : les immeubles y étant moins solides, de nombreuses maisons de bois s'effondreront.
Un siècle plus tard, les Parisiens attendent leur nouvelle crue centennale. Selon les estimations, elle toucherait 250 km², frapperait directement 500 000 personnes et coûterait entre 8 et 9 milliards d'euros. Hollywoodien, n'est-ce pas ?
http://www.lefigaro.fr/livres/2009/12/07/03005-20091207ARTFIG00408-l-eau-dansl-imaginaire-parisien-.php