Il a été de quelques-unes des plus belles aventures de l'art du XXe siècle : membre du groupe Abstraction-Création en 1932, surréaliste trois ans plus tard, attiré à nouveau vers l'abstraction après la Libération - il sera un des piliers du Salon des réalités nouvelles -, Gérard Vulliamy (1909-2005) est pourtant aujourd'hui bien oublié.
Et c'est injuste, comme le prouve une exposition au Musée de Besançon. Y sont montrées, en une centaine de peintures, dessins, illustrations et documents, ses années surréalistes avec, en point d'orgue, un chef-d'oeuvre : Le Cheval de Troie, une huile sur bois de 1936.
Fascination
Sur le plan technique, on est au niveau des grands peintres de la Renaissance des pays du Nord, sauf que Grünewald ou Holbein, s'ils eussent pu approuver les glacis, n'auraient sans doute pas compris que l'on puisse les poncer si violemment par endroits : l'invention est surréaliste, elle permet des effets de matière. Surréaliste aussi, l'inspiration, même si un Jérôme Bosch ne l'aurait pas désavouée. Aucun doute, Vulliamy est de la famille.
Au sens propre, puisque gendre de Paul Eluard, dont il illustre en 1946 l'hallucinant recueil Souvenirs de la maison des fous (réédité en 2011 chez Seghers), témoignage de l'asile de Saint-Alban, pionnier de l'ergothérapie où, durant la guerre, trouvèrent refuge juifs, résistants, et aussi Nusch et Eluard. Vulliamy s'y rend en 1945 et, comme Géricault plus d'un siècle avant lui, portraiture les aliénés. Les dessins sont saisissants : du surréalisme appliqué, en quelque sorte.
Le monde de Vulliamy tel qu'il se dévoile à Besançon est généralement plus fantasque. Des paysages tourmentés aux roches anthropomorphes dont certaines font songer aux sculptures d'Henry Moore - Le Cheval de Troie a aussi connu une version sculptée, en plâtre, qu'il fut question de réaliser à une échelle monumentale dans un parc de L'Isle-Adam, projet abandonné à cause de la guerre -, d'autres au Picasso de la période de Dinard, d'autres enfin à l'art d'Océanie, qu'il collectionne.
Il y a du Miró aussi, mais à nuancer, ainsi que l'avait compris le marchand d'art Pierre Loeb, qui lui fit sa première exposition personnelle en 1933 : "Chez Miró, il y a plein de petits éléments. Chez vous, c'est lié d'un bout à l'autre. Il y a un point de départ et on suit le mouvement des volutes." C'est sans doute cela qui, avec la technique des glacis et sa luminosité si particulière, explique la fascination provoquée par les tableaux de Vulliamy : l'oeil s'y pose, s'y promène jusqu'à s'y perdre.
Lui-même, dans les dessins préparatoires, fait évoluer son thème, l'enrichit, y intègre par exemple la vision d'une éruption du Stromboli à laquelle il assiste en 1937. Mais bien sûr, c'est une autre catastrophe qui se lit en filigrane dans Le Cheval de Troie. Celle qui se tient en Espagne et qui présage des heures noires que va vivre l'Europe, et le reste du monde : cette année-là, Picasso peint Guernica, et Ernst L'Ange du foyer. La vision de Vulliamy mérite de figurer dans le même panthéon tragique, et surréel.
"Gérard Vulliamy, les dessins surréalistes 1930-1947". Musée des beaux-arts et d'archéologie, 1, place de la Révolution, Besançon (Doubs). Tél. : 03-81-87-80-49. Tous les jours sauf mardi de 9 h 30 à 12 heures et de 14 heures à 18 heures. Samedi et dimanche de 9 h 30 à 18 heures. Jusqu'au 2 avril. Entrée 5 €.
Sur le Web : www.musee-arts-besancon.org.