Apollinaire voyait en Venise le 'sexe femelle de l'Europe '. Bien plus qu'un décor, bien plus qu'un fantasme, elle a semé le trouble dans l'imaginaire et l'érotique des écrivains comme jamais aucune autre ville. Avec son carnaval et ses jeux de masques, avec ses palais et ses maisons closes, avec l'incarnat de ses églises et le Styx de son Grand Canal, avec les vénus profanes du Titien et les frasques concupiscentes de Casanova, elle se situe aux frontières du réel et du fictif, de l'Éros et de Thanatos.
Le topos même de l'érotisme. De cette mythologie propre à la Cité des Doges, Lucien Clergue a tiré un scénario en images que Marc Lambron a traduit en mots. Ensemble, l'oeil et la voix, ils restituent la vision fugitive de deux femmes, l'une brune, l'autre blonde qui, lors d'une journée de 1979 où le soleil pénétrait brutalement par les fenêtres ouvertes, furent saisies par l'objectif dans toute leur beauté nue, magnétique. Dans ce somptueux palazzo baigné de clair-obscur, elles font fresque.
' Qui sont-elles, sur fond noir, à l'instant du cliché ? Promeneuses solitaires dans Venise, ou bien l'ombre d'une vérité, le mystère d'avoir été là ? 'Le narrateur les questionnent, elles se présentent : Amelia et Laura. Leurs corps offerts comme en un rite inconnu le renvoient à ses souvenirs de femmes rencontrées, désirées, aimées souvent, interdites parfois. Leur présence énigmatique, leurs bouches convoitées, leurs étreintes invoquées, s'adressent à son sang et à son désir.
Apparues puis disparues comme un songe, elles deviennent son secret. L'écrivain signe alors la fable du monde, la ferveur d'un été, avant de s'effacer à son tour.
Editeur : Seghers Parution : 18 Octobre 2012
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