Le sommet de la colline de Zaïsan, au sud d'Oulan-Bator, est planté d'un monument soviétique dont le béton, frappé de céramiques martiales, célèbre avec une légèreté toute communiste la fraternité russo-mongole, aimablement encouragée par le Kremlin à partir de l'époque stalinienne. De là-haut, parmi les amoureux débridés, nous mesurons l'étendue des dégâts. Depuis 1991, Oulan-Bator est devenue un monstre, une cité fiévreuse, asphyxiée de vapeurs, livrée aux appétits des consortiums miniers, grêlée de chantiers. Devant le spectacle, on songe que le mot de Vladimir Poutine, «la chute de l'URSS est la plus grande catastrophe du XXe siècle», n'a rien d'abject. En vingt ans, des centaines de milliers de nomades, attirés par le miroir aux alouettes, se sont rués dans les faubourgs de l'ancienne Urga. Ils ont échoué dans des bidonvilles de feutre à la périphérie de la ville, plantant leurs yourtes entre des palissades. Troquant le cheval contre la bagnole, ils se sont jetés dans l'embouteillage qui paralyse la ville jusqu'en son centre, où Gengis Khan statufié n'a plus aucune autorité sur son peuple. Aujourd'hui, un tiers des Mongols vit dans la capitale, et les perspectives d'extraction d'or, de zinc et de métaux précieux continuent à précipiter dans le chaudron urbain les investisseurs étrangers, les commerçants chinois dont les produits déferlent sur la steppe et le prolétariat des yourtes, pressé de substituer le marteau-piqueur à la cravache.