Signature : Jean-François Lasnier - 10 mars 2014
Kasimir Malévitch, Autoportrait, 1908-1910, gouache et aquarelle sur papier, 27 x 26,8 cm (Moscou, Collection Galerie d’État Tretiakov).
Faisant la synthèse des traditions russes et des recherches menées par les cubistes et par Matisse, Kasimir Malévitch (1878-1935) franchit le pas de l’abstraction avec son « Carré noir » de 1915. À voir ou revoir lors des grandes expositions qui lui sont consacrées ce printemps à travers l’Europe.
La terre russe a engendré des cohortes de prophètes, figures charismatiques lançant l'anathème sur une société corrompue et promettant la rédemption par le retour aux valeurs authentiques de la religion chrétienne, enracinées dans le monde paysan. Parmi eux, on comptait aussi des artistes, dont Léon Tolstoï reste l'incarnation emblématique. À sa façon, Kasimir Malévitch recueillit l'héritage du grand écrivain et «consacra sa vie à une sorte d'évangélisation de la peinture de son siècle », écrit Andreï Nakov. « Il lui imposa un ordre de valeurs"supérieures ", la transforma en discours philosophique et moral, en nouvelle"Église" ».
Issu d'une famille polonaise, Malévitch naît à Kiev en 1879. Contre son père qui voulait faire de lui un prêtre, il manifeste une vive inclination pour la peinture, qu'il pratique longtemps en amateur. Malévitch ne commence à recevoir les rudiments d'une formation artistique qu'en 1904. Cet apprentissage est accéléré par l'installation à Moscou, où il découvre l'avant-garde alors représentée par Kandinsky, Larionov et Gontcharova. Avec eux, Malévitch participe entre 1910 et 1915 à une série d'expositions mémorables, aux noms aussi improbables que « Le Valet de Carreau » ou « La Queue de l'âne ». Au cours de cette brève période, le peintre retrace pour son propre compte toutes les phases de l'art moderne, de Cézanne au cubisme synthétique, en passant par le futurisme, toutes ces tendances se combinant dans une singulière idiosyncrasie. La visite des collections Morozov et Chtchoukine, alimentées par des arrivages réguliers de Paris, le met en prise directe avec les recherches les plus récentes de Braque, Picasso ou Matisse. C'est au contact de ces oeuvres radicales que Malévitch conçoit sa philosophie de la peinture, comme agencement de signes purs : « Ce qui a valeur en soi dans la création picturale, c'est la couleur et la facture, c'est l'essence picturale, mais cette essence a été tuée par le sujet », écrit-il. Dès lors, l'objet, le réel apparaissent comme des obstacles à la vision de la picturalité, dont il convient de se débarrasser. Ces réflexions entrent en résonance avec les expérimentations des écrivains qui, tels Khlebnikov, aspirent à une poésie de sons.
C'est à cette époque que Malévitch a également la révélation de l'art de l'icône, dans lequel il voit « la forme supérieure de l'art paysan ». « Tout le peuple russe m'apparaissait en elles, dans toute son émotion créatrice », rappelle-t-il ainsi.
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