Mieux vaut sans doute être prévenu : Les Salauds, le nouveau long-métrage de Claire Denis, n'a rien, mais alors rien du tout, du bon petit film que l'on aime aller voir un soir d'été, histoire de passer un agréable moment au frais. Pire : c'est un film antipathique. Le titre, inspiré du titre français d'un film de Kurosawa, Les salauds dorment en paix, ne dit pas grand-chose de l'épreuve qui attend le spectateur lorsqu'il s'installe dans son fauteuil.
Des personnages de salauds, on en a croisé des centaines au cinéma. On s'est parfois pris de sympathie pour eux ; plus souvent, on les a détestés ; il nous est même arrivé de souhaiter leur mort. Mais, quoi qu'il en soit, tout salauds qu'ils étaient, ils sont entrés de plain-pied dans notre imaginaire cinéphilique. Il n'est pas dit que notre mémoire réserve un sort comparable aux salauds de Claire Denis.
Si le titre se veut explicite, le film, âpre et étouffant, ne l'est guère, hésitant constamment sur sa propre histoire : est-ce, comme chez Kurosawa, l'histoire d'un homme, fort et sain, qui voudrait se venger mais qui n'y arrive pas, pris qu'il est au piège des siens ? Ou bien, ainsi que la fin, glauque et insoutenable, semble le suggérer, est-ce avant tout un film sur une relation incestueuse ?
A ce stade de notre propos, un bref résumé s'impose. Marco Silvestri (Vincent Lindon) est commandant de supertanker. Un marin, donc, qui doit brutalement abandonner son navire pour aller porter secours à sa sœur Sandra (Julie Bataille).
Le mari de cette dernière s'est suicidé, son entreprise est en faillite, sa fille Justine (Lola Créton) est à la dérive. Le coupable ? A priori, l'homme d'affaires Edouard Laporte (Michel Subor, extraordinaire). Pour s'en assurer, Marco loue un appartement dans l'immeuble où Laporte a installé sa maîtresse, Raphaëlle (Chiara Mastroianni), et son fils...
Claire Denis sur le tournage des "Salauds". | DR
UN FILM CONFUS, TOUT EN STUPRE, EN SANG ET EN BRUTALITÉ
Un film mal-aimable, donc. Autant par ce qu'il montre, ou plus exactement, ce qu'il suggère, que par une nette propension, de la part de Claire Denis et de son coscénariste, Jean-Pol Fargeau, à égarer sans cesse le spectateur. Qui sont ces personnages ? Quelles sont leurs motivations ? Comment réfléchissent-ils ? Claire Denis le reconnaît d'ailleurs dans une longue et passionnante interview accordée aux Cahiers du cinéma (numéro daté juillet-août) : elle-même ne comprend pas très bien ses personnages d'un point de vue psychologique... A trop vouloir suggérer que tout cela est humain, forcément humain, à sous-entendre même qu'il y aurait de l'amour dans cette saloperie, le film à la fois se perd et gagne en radicalité et en ambiguïté.
Rien à voir, on l'aura compris, avec les précédents films de Claire Denis – Beau travail, Trouble Every Day, Vendredi soir... – si maîtrisés, si magistraux parfois. Cette fois, on la sent douter, comme si son idée initiale – s'inspirer tout à la fois de Kurosawa et du Sanctuaire de Faulkner – avait fini par la submerger. Parcouru de flux fantasmatiques, à tel point qu'il devient parfois difficile de faire la part entre le rêve (le cauchemar...) et la réalité, Les Salauds est un film confus, tout en stupre, en sang et en brutalité.
En définitive, seul Vincent Lindon tente de réchapper à ces pesanteurs sordides. En bon marin qu'il est, comme égaré parmi les terriens, il ne comprend rien à ce qui se passe. Personne ne lui explique, personne d'ailleurs ne dit quoi que ce soit. Indicibilité. Les salauds sont, aussi, des menteurs.
Ne reste en définitive qu'une seule certitude : Agnès Godard est une immense directrice de la photo. Ne serait-ce que pour certains cadres, certaines séquences nocturnes, une manière inimitable de filmer un trajet en bagnole, d'imprimer sur l'image le grain des peaux, on peut aller voir Les Salauds. Mais, attention : c'est un film antipathique.
LA BANDE-ANNONCE
Film français de Claire Denis avec Chiara Mastroianni, Vincent Lindon, Julie Bataille, Michel Subor (1 h 40).
Sur le Web : www.facebook.com/lessalauds.lefilm?fref=ts et www.wildbunchdistribution.com/fichefilm.php?id=172
Franck Nouchi
L'avis du "Monde"
POURQUOI PAS