Dans sa nouvelle fondation au domaine du Muy, près de Saint-Tropez, le sculpteur a inauguré la chapelle imaginée par Frank Stella pour accueillir ses œuvres monumentales.
Il y a des lieux magiques, hors du temps, où l'architecture est un superbe écrin pour l'art. Pour sa fondation de droit américain qu'il vient d'inaugurer dans sa résidence secondaire au Muy, Bernar Venet a toujours rêvé secrètement d'un espace de méditation conçu par un de ses amis artistes. Quand il a vu chez l'Américain Frank Stella ses grands reliefs composites, il a tout de suite eu le coup de foudre. Il est finalement reparti avec six de ses œuvres monumentales sans savoir quel emplacement il pourrait leur consacrer.
Leurs dimensions imposantes (environ 450 x 250 x 150 cm) avait découragé les institutions de les prendre en dépôt. Au fil des discussions entre les deux hommes, l'idée de la chapelle est née, sur le modèle de celle de Rothko construite dans les années 60 à Houston au Texas pour le célèbre couple de collectionneurs franco-américain Jean et Dominique de Menil. Celle-ci abrite quatorze peintures noires aux subtiles nuances de couleurs créées spécialement pour l'endroit, selon les exigences de ses commanditaires.
Vue extérieure de la chapelle. Crédits photo : Venet foundation/archives Bernar Venet
Au Muy, les reliefs de Stella qui ont induit l'architecture. Techniquement, le bâtiment est une prouesse. Sur ce site classé qui n'est pas à l'abri des inondations - la dernière a emporté le pont en acier imaginé par Venet au fond de la rivière! -, il n'est pas possible de construire ce que l'on veut. Au départ, l'architecte Rudy Ricciotti installé à Bandol, dans le Var, et connu pour ses dentelles de béton du Mucem, avait imaginé une haute tour de plusieurs dizaines de mètres.
Le projet n'était pas recevable et a laissé la place à celui dessiné par Frank Stella lui-même sur pilotis pour laisser passer l'eau au cas où. Il s'agit d'une création inédite car, s'il s'était déjà intéressé à l'architecture - en témoignent les maquettes qui furent exposées dans sa «rétrospective works» au musée de Wolfsburg -, aucun de ses bâtiments n'avait été réalisé jusqu'alors.
L'édifice hexagonal de 15 mètres de diamètre accueille un de ses amoncellements métalliques sur chacun de ses murs qui ont dû être redressés après installation en raison de leur poids. la structure comme un champignon géant planté dans la nature est chapeautée par une toiture innovante en fibre de verre et toile de bateau ayant la forme d'un étrange œil dessinée lui aussi par Stella lui-même en collaboration avec la jeune architecte Veronika Schmid dont l'agence est basée à New York (Impossible-Productions). Dans cette boîte blanche et noire ouverte sur la nature, le visiteur déambule librement.
La chapelle est le point d'orgue d'un parcours à travers le parc parsemé d'arches métalliques de Bernar Venet. Un jeu de courbes et contre-courbes si cher à l'artiste qui a impressionné une fois de plus ses invités avec sa toute nouvelle création, Effondrement, à l'entrée de la fondation, dans l'usine réhabilitée en espace d'exposition: 200 arches de 7 mètres de long et d'une tonne chacun se superposant les uns aux autres dans un magique équilibre.
Pour inaugurer sa fondation que l'on pourra visiter en privé sur rendez-vous, Bernar et sa femme Diane nous avait promis une magnifique soirée entre amis, parmi lesquels Jacques et Lise Toubon, Bernard Blisten du Centre Pompidou, les anciens galeristes Jérôme et Emmanuel de Noirmont, Jean Todt et bien sûr la star du jour, Frank Stella dont on connaît l'amour pour les cigares. L'orage menaçant toute la journée s'est évincé comme par miracle pour permettre à chacun de se promener dans cet immense musée à ciel ouvert résultant de 25 ans de travaux d'agrandissement et d'embellissement.
On commence par le Moulin où l'on peut voir les coups de cœur de Bernar: la compression de sa voiture par César, la «poubelle» d'Arman, son ami des premiers jours, les installations lumineuses de Morellet et Dan Flavin, les pièces minimalistes de Richard Long et Carl Andre et surtout les wall drawings de Sol Lewitt, allant du salon à la salle à manger où trône une table peinte du même Lewitt. «L'histoire de cette collection est celle de mon amitié avec les artistes», explique le propriétaire des lieux. La visite se termine au fond du parc de 4 hectares avec une nouvelle œuvre conçue pour l'occasion par Daniel Buren et dont Bernar fera peut-être l'acquisition. Le pari de ce nouveau lieu est réussi. Et l'émotion garantie!
Effondrement (2014), une pièce monumentale de 200 tonnes d'acier, dans l'ancienne usine reconvertie en hall d'exposition. Crédits photo : Venet foundation / archives Bernar Venet New York.