Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Le seul regret de Gina Lollobridgida
Considérée comme la plus belle femme du monde dans les années 1950, la star italienne a eu tous les hommes à ses pieds. Pourtant, cette artiste pluridisciplinaire n'en a jamais trouvé un à sa mesure.
Elle est vêtue d'un tailleur léopard qui flatte un visage d'une perfection irréelle. L'actrice n'attend pas la question et se lance en s'exprimant dans un français presque parfait que lui enseigna Gérard Philipe, lors du tournage de Fanfan la Tulipe. « Mon seul regret est parisien. Je voulais exposer sur le parvis de Notre-Dame la sculpture de 6 mètres de haut que j'ai faite de moi en Esmeralda. C'est un chef-d'oeuvre et je ne dis pas ça parce que je l'ai réalisée ! La Mairie de Paris a préféré prendre l'oeuvre d'un artiste contemporain qui mettait en scène un perroquet vivant ! Vous vous rendez compte, mon rival était un perroquet... » Celle que l'on a surnommée la « Mona Lisa du XXe siècle » préfère parler de son art, la sculpture qu'elle exerce depuis vingt ans, plutôt que de cinéma. Pourtant, les deux sont intimement liés.
Arrivée à Rome en 1945, elle améliore son ordinaire en dessinant portraits et caricatures qu'elle vend aux soldats américains. La jeune femme obtient une bourse pour étudier à l'Académie des beaux-arts et se voit, dans la rue, proposer de faire de la figuration dans un film, L'Aigle noir, de Riccardo Freda. Elle accepte pour pouvoir se payer des leçons de chant... « Je ne considérais pas le cinéma comme un art. La peinture, la sculpture, la musique, oui ! J'ai appris ensuite que l'on pouvait être une artiste en tournant devant une caméra. »
Fanfan la Tulipe la consacre en 1951. La « Lollo » devient une star, que les grands réalisateurs s'arrachent. À tel point que Marilyn Monroe lui dit un jour à New York : « Sais-tu qu'ici ils m'appellent la Lollobrigida d'Amérique ? » Mais la déesse italienne garde les pieds sur terre. Car il y a chez elle une volonté farouche d'indépendance qu'aucun pont d'or, qu'aucune caméra n'a jamais pu entamer. Elle le dit sans regret. « Au cinéma, je pouvais rarement m'exprimer, j'étais utilisée comme un objet. L'acteur n'est pas le maître du film. Ma revanche a été d'être la seule actrice italienne à faire une carrière sans l'aide de personne, ni mari producteur, ni petit ami réalisateur. »
Dans les années 1970, elle se lance dans la photographie. D'objet, elle devient sujet au même titre que les portraits qu'elle saisit de Kennedy, Indira Gandhi, Castro, Gagarine... « Toute ma vie, j'avais été regardée, et là, c'était moi qui regardais le monde. C'était beaucoup plus intéressant. Finalement, je n'ai rien à regretter de ma vie. »
Fin de l'entretien. Sauf que... Le téléphone s'est mis à sonner. Gina a décroché en se mettant dans une colère noire. « Sept pages ! Cet homme que j'ai bien fait de ne pas épouser l'an dernier s'est répandu dans la presse à scandale espagnole. Qu'il parle en mon nom, c'est incroyable ! » La fureur, bien réelle, agit comme un révélateur de ce qui semble être son seul et unique vrai regret, l'amour. « J'ai été admirée, courtisée, désirée par des milliers de gens et je n'ai jamais trouvé un homme qui m'aime sincèrement, c'est ironique, n'est-ce pas ? » Celle à qui Orson Welles consacra un documentaire secret dont il ne se séparait jamais, celle qui rendit fou d'amour Howard Hugues, celle enfin dont la beauté épargna en 1983 les troupes italiennes au Liban parce que le ministre syrien de la Défense ne voulait pas qu'« une seule larme coule des yeux de biche de Gina » est d'une lucidité implacable. « Pour un homme, j'ai toujours été trop célèbre, trop forte, trop indépendante. Ils rêvent de sortir avec une déesse mais, en fait, ils ne le supportent pas. Ils veulent qu'on leur repasse les chemises, qu'on leur fasse à manger... Vous pensez bien qu'avec une femme comme moi, ils étaient mal tombés ! Je me suis consolée en me disant que le Bon Dieu m'avait tellement donné d'un côté, qu'Il ne pouvait pas, en plus, me donner l'amour. C'est un manque certes. Mais il m'a aidée à être moi-même. »