ANNE-MARIE ROMERO.
Au Musée des Augustins de Toulouse, une rétrospective de Jacques Stella, peintre de Richelieu, longtemps éclipsé par Poussin, auquel on avait attribué certaines de ses toiles.
BIEN S€R, il s'agit de peinture du XVIIe siècle, classique, hyperclassique même, qui rebute certains, un style surnommé l'« atticisme parisien » des Lesueur, La Hyre et Poussin, ces artistes qui « aimaient faire lisse, des couleurs claires, juxtaposées avec une audace raffinée, parfois avec une pointe de préciosité, un modelé savant », selon la définition de Pierre Rosenberg. Jacques Stella, (1596-1657) en est l'illustration typique, et pourtant il est bien plus que cela. Miniaturiste, dessinateur spontané de scènes de la vie quotidienne, graveur hors pair, peintre sur pierre, marbre, sur cuivre et, surtout, artiste humain, modeste, sensible, qui a aimé égayer les plus académiques de ses constructions picturales de quelques détails familiaux, intimes et touchants.
Ce sont plus de 150 de ses oeuvres, peintes ou dessinées, que présente le Musée des Augustins de Toulouse - propriétaire d'une pièce magistrale de l'artiste, Le Mariage de la Vierge -, enrichissant ainsi l'exposition que les Lyonnais avaient pu admirer précédemment.
Stella, lyonnais d'origine flamande, d'une dynastie de peintres, fait le « voyage en Italie », s'arrête à Florence puis part pour Rome où il sera le protégé de la famille Barberini. De ce séjour, il rapportera des miniatures inspirées de Jacques Callot et de ravissants dessins de petites gens croquées sur le vif, aux antipodes de la peinture officielle qui lui sera commandée par Richelieu. Fasciné par les défis techniques, il peint aussi sur « pietra dura », notamment un très beau Songe de Jacob utilisant les veines de l'onyx pour placer ses personnages.
Peintre d'Église
Car lorsque Stella rentre en France, décidé à se rendre à la cour d'Espagne, le cardinal premier ministre le retient. Il souhaite contrebalancer le baroque espagnol avec une autre manière d'illustrer la Contre-Réforme : une réutilisation de l'Antiquité « marquée du sceau de la rigueur intellectuelle, écrit Sylvain Laveissière, commissaire de l'exposition, au service d'une religion réconciliée avec la raison ».
Stella devient alors presque exclusivement un peintre d'Église et travaille sur des commandes de grands et moyens formats : L'Assomption de la Vierge, L'Adoration des Anges (Stella en peint sur tous ses tableaux), Sémiramis appelée au combat. Autant de scènes convenues, avec des visages portant des masques anonymes sur lesquels il pose les affects de circonstance. Ses décors architecturaux antiques sont figés, ses couleurs froides, notamment son rose caractéristique, tirant sur le mauve, ses bleus, qu'il affectionne, éclatants mais glacés. La lumière vient de face, sans nuance. À cet égard, Clélie passant le Tibre, un épisode de l'histoire de Rome et des Étrusques, peut être considéré comme un chef-d'oeuvre du genre. Huit jeunes filles, idéalisations de la femme, d'une esthétique aussi parfaite que la composition est artificielle, baignent dans une lumière blanche et froide.
Pourtant, dès qu'il le peut, il introduit un élément insolite, touchant. Dans David et Bethsabée, une de ses plus belles oeuvres, un petit chien, une table chargée de mets, un costume orientalisant insufflent la fantaisie. Il trouve aussi des accents inattendus de tendresse dans La Vierge donnant la bouillie à Jésus enfant et dans toute sa série sur la sainte Famille, où Joseph, rassurant et puissant, dans la force de l'âge, prend une importance inusitée.
Mais son amitié - « funeste » - pour Poussin lui a nui. Lorsque sa nièce, Claudine Bouzonet-Stella, fera graver ses derniers dessins, le graveur signera Nicolas Poussin. Et il faudra attendre le XXe siècle pour que nombre de ses oeuvres, injustement attribuées, soient restituées à cet artiste qui méritait d'être classé parmi les plus grands.
« Jacques Stella, peintre de Richelieu », Musée des Augustins, Toulouse, jusqu'au 17 juin. Tél. : 05 61 22 21 82.
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