Regardez-le, ce Charles Gounod en majesté, sa barbe parfaitement taillée encadrant son visage inspiré: c'est un compositeur révéré, dont le Faust sera longtemps un des opéras les plus joués au monde. Pourtant, derrière cette image, la véritable personnalité de Gounod est pleine d'ambiguïtés qu'un de ses amis d'enfance résume bien: «Un jour, il grimpait aux arbres et chantait tous azimuts; un autre, il entrait en transe religieuse. Un jour, il embrassait le mari; le lendemain, il courtisait la femme.» Moine ou voyou? Mystique ou érotomane? La double personnalité de Gounod a de quoi surprendre !
Né à Paris le 18 juin 1818, Charles Gounod est le fils d'un peintre et d'une pianiste. Elève au lycée Saint-Louis, il y découvre le Don Juan de Mozart qui le bouleverse et l'incite à se vouer à la musique: conservatoire, concours de Rome, il arrive en 1839 à la villa Médicis où, accueilli par Ingres, ami de son père (qui fait de lui un joli portrait), il découvre d'abord à la Sixtine la musique de Palestrina : c'est un choc esthétique autant qu'éthique, sa conception de la musique religieuse trouvant à s'enraciner dans ce grand style sévère. Jusque-là, en effet, il a rejeté toute la musique sacrée de son temps: «Elle n'était même pas nulle, elle était exécrable.» Mais, à côté de cet intérêt pour l'expression de la foi en musique, Gounod aime la vie sous toutes ses formes et profite largement des délices de la dolce vita romaine... Il y fait entre autres la rencontre de Fanny Hensel, la sœur de Mendelssohn, qui le juge «passionné et romantique à l'excès», mais se dérobe à ses avances. Il rencontre aussi Pauline Viardot, la sœur de la Malibran, déjà grande cantatrice, qui, outre les voluptés qu'elle partage avec lui, lui fait découvrir le théâtre: c'est un autre choc. Toute sa vie, il sera déchiré entre ces deux aspirations, ces deux désirs, la foi et le théâtre. Et s'il assiste aux sermons de Lacordaire, qui font grand bruit à Rome, c'est peut-être qu'ils nouent ces deux faces. A l'issue de son séjour romain, il voyage en Autriche et en Allemagne jusqu'à Berlin où il retrouve Fanny Hensel qui l'envoie chez son frère à Leipzig : «Ah! C'est vous le fou dont ma sœur m'a parlé», lui lance Mendelssohn en l'accueillant... Mais si Gounod manifeste alors un inté rêt fasciné pour l'opéra, il ne compose que de la musique religieuse. D'ailleurs, à son retour à Paris en 1843, sa mère lui écrit: «Je ne sais de quel côté tu désires te loger: près des Missions ou près de l'Opéra?» Tout est dit. Finalement, il s'installe chez sa mère, vit en compagnie d'ecclésiastiques, devient maître de chapelle des Missions étrangères, compose deux messes au style très dépouillé et, en 1846, fait dire qu'il est «entré dans les ordres». C'est faux, mais il est en revanche vrai que, d'octobre 1847 à février 1848, il porte l'habit des Dominicains, se fait appeler «l'abbé Gounod » et obtient une lettre de l'archevêque de Paris l'autorisant à demeurer chez les Carmes.