Le prix Goncourt en direct de chez Drouant, c'est comme Johnny au Stade de France : on voit mieux à la télé. Mais pour le centenaire du Graal des prix littéraires français, il fallait bien se rendre sur le terrain. Avec des avertissements en tête : attention, c'est la foire d'empoigne là-bas, cent journalistes s'entassent dans cinq mètres carrés pour filmer-photographier-enregistrer le lauréat... Et c'était le cas.
Une demi-heure avant l'annonce, les camions des télévisions bloquaient déjà la place Gaillon. L'entrée du restaurant Drouant, où se remet traditionnellement le prix Goncourt, était pleine à craquer. Les badauds aussi sont venus jouer des coudes pour voir Bernard Pivot. Aucun people, mais des dames d'un certain âge montrant une étonnante vigueur pour atteindre l'apéritif offert. "Je viens en voisine", dit l'une d'elle. A-t-elle un favori ? "J'en ai lu aucun", élude-t-elle en levant le coude.
Le collectif La Barbe a protesté contre le "machisme" du prix
La foule s'agite. Des petits fours s'écrasent mollement sur les manteaux pendant qu'on essaie de voir à l'intérieur, en vain. Heureusement, il y a le son. Les noms de Lemaitre et de Moix récoltent de francs "bravo !" Une dame avait d'ailleurs écrit le mot sur un petit panneau noir, brandi à bout de bras. D'autres profitent de la forte présence médiatique pour faire passer leur message : des militantes du collectif La Barbe sont venues (avec leur fausse barbe) protester contre le fait que sur 100 prix Goncourt, dix seulement ont été attribués à des femmes.
Puis on piétine en attendant que les nouveaux lauréats Goncourt et Renaudot descendent du premier étage où ils trinquent avec les jurés et leurs éditeurs. Lorsqu'ils le font, c'est pour voir une formidable marée humaine surmontée de caméras, couler comme une vague vers la rue, renversant chaises, gens et plantes vertes. Ça crie, ça bouge comme dans la fosse d'un concert de rock. La marée reflue vers le restaurant, engloutissant des lauréats dont on ne verra pas le moindre cheveu. Un retardataire demande : "Alors, c'est qui le Goncourt ?" Quelqu'un lui répond : "Christophe Lemaitre." Le sprinteur d'Aix-les-Bains n'aurait jamais imaginé si belle victoire.