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La langue (française)/ les langues - Page 8

  • Catégories : La langue (française)/ les langues

    Bernard Cerquiglini , "Une langue orpheline"

    medium_une_langue_orpheline.jpgLes Editions de Minuit
    Coll. "Paradoxes"
    Paris 2007
    240 p.
    21,50 €
    ISBN : 978.2.7073.1981.4

    Parution le 15/03/07

    Présentation de l'éditeur:


    On a longtemps cherché pour la langue française des origines les plus nobles, justifiant sa grandeur. Découvrir qu'elle provenait d'un latin populaire mêlé de gaulois et de germanique, qu'elle était la moins latine des langues romanes fut un chagrin.
    On sut toutefois compenser ce manque initial en édifiant un idiome comparable à la latinité enfuie : orthographe savante, lexique refait, grammaire réglée, fonction sociale éminente. C'est pourquoi le français, admirable latin de désespoir, est aussi la plus monumentale des langues romanes.
    On sut enfin donner à la langue nationale une origine, autochtone, enfin gratifiante. Le parler de l'Île-de-France, dialecte élégant et pur, aurait eu depuis toujours la faveur des écrivains, la protection des princes ; il aurait été la source incomparable de l'idiome irriguant la France et le monde. À la fin du  XIXe siècle, la science républicaine changea cette légende en savoir positif, offrant au pays meurtri la raison d'admirer son langage et de le répandre.
    Une langue orpheline est ainsi devenue l'exemple universel de la perfection naturelle que confortent les artistes et les doctes, ainsi que l'identité d'une nation, et sa passion la plus vertueuse.

    Lire l'introduction

    Url de référence : http://www.leseditionsdeminuit.com
    http://www.fabula.org/actualites/article17687.php

  • Catégories : La langue (française)/ les langues

    Le mal-t-à-propos

    Par Claude Duneton.
     Publié le 01 février 2007
    Actualisé le 01 février 2007 : 12h29
    JE FAISAIS la queue devant les guichets du RER, à la gare du Nord, à Paris, lorsque j'avisai une pancarte bleue, posée sur un pied à la manière d'un instrument de musique, qui disait : « Patientez ici qu'un guichet se libère. »
    Bizarre formulation ! Patienter n'est pas un verbe transitif : on ne patiente pas quelque chose, ou quelqu'un. On patiente cependant quelques minutes, mais on ne patiente pas son copain - on ne patiente pas qu'il arrive. On l'attend ! La gare du Nord est une gare internationale, la plus achalandée de France paraît-il, avec près d'un million de voyageurs chaque jour. La foule canalisée par des sangles bleues parlait des tas de langues diverses, je me suis cru un instant projeté en pays étranger avec cette pancarte insolite où l'on avait substitué « patientez que » à l'ordinaire « attendez que »... Qui donc a écrit cette ânerie ? Qui a fabriqué les pancartes (il y en avait plusieurs) ? Qui les a installées devant les guichets ? Sûrement pas le même employé. Il est curieux que dans une entreprise d'État de l'envergure de la SNCF il n'y ait personne qui sache suffisamment le français - des ingénieurs, des chefs de secteur, que sais-je ? - pour faire corriger une erreur aussi grossière qui ne donne pas une haute idée du niveau d'instruction du personnel, pourtant recruté sur concours. Quelle gêne !
    Faut-il voir là un exemple caricatural de ce que Pierre Merle décrit dans un livre récent comme étant du français mal-t-à-propos (L'Archipel, 264 p., 17,95 euros) ? Il désigne sous ce vocable emprunté aux liaisons mal placées que faisaient les anciens ignorants : « un français mal bâti, mal fagoté, perdant comme à plaisir sa grammaire, son orthographe, son légendaire sens des nuances et le reste, un français d'à-peu-près » ?.. Il est parfaitement exact que le seuil de ce qui est tolérable s'est beaucoup abaissé au cours des quarante dernières années. L'idée même de faute de français s'est progressivement effacée à cause de la connotation moralisante du mot « faute », qui l'a fait bannir du vocabulaire des gens avisés dans une société où la notion de morale est finalement rendue suspecte. Toute « déviance » devient donc normale, ou même enrichissante selon certains : un mot pris pour un autre - chose qui, naguère, faisait sursauter l'auditeur - ne trouble plus personne, tant l'idée que rien n'a d'importance s'est répandue dans le public français. L'autre jour, une amie a entendu à la radio un journaliste dire sans se reprendre : « Le témoin a déclaré sans encombre » - il voulait dire sans ambages. Une autre personne expliqua lors d'une cérémonie qu'elle venait « pour le recueil », au lieu de « se recueillir »... On pourrait compter des centaines de ces distorsions lexicales dont nul ne fait plus cas. C'est ce que Pierre Merle appelle benoîtement les fautes tranquilles ; « le garçon que je vous parle » ne fait plus réagir, pas plus que « la ville dont je suis allé ». L'auditeur sent bien (pour l'instant !) que quelque chose cloche, mais il ne s'estime plus autorisé à intervenir par crainte, le plus souvent, de se trouver politiquement indésirable. Et puis, du moment que l'on discerne ou devine le sens, quelle importance ? Vive l'évolution ! s'écrient certains linguistes friands de nouveauté. Bien sûr, mais c'est de cette manière aussi qu'une langue évolue à petit feu vers sa fin...
    Il est malaisé d'analyser les raisons de cette résignation massive. À l'évidence, l'affaiblissement de l'enseignement lui-même, par abandon calamiteux des exercices de grammaire pratique, indispensables à la maîtrise du français, joue un rôle déterminant. Les grammairiens ont laissé la place aux « linguistes », qui sont des gens que tout amuse et instruit. Les linguistes sont comparables à des amateurs d'émotions fortes qui regardent un enfant se noyer sans faire un geste pour lui porter secours, tant le mécanisme de la noyade - l'enfant crie, fait des gestes désordonnés - leur paraît fascinant à observer.
    Il y a, à mon avis, une lente érosion du sens des mots et des phrases que l'on peut attribuer à l'habitude qu'ont prise les gens normalement lettrés de ne plus chercher à comprendre dans le détail. Pourquoi ? Parce que depuis un demi-siècle on a trop abusé du charabia pseudo-scientifique, qui s'est propagé comme un chancre mou dans tous les domaines de la vie courante. L'individu de langue française subit depuis deux ou trois générations une mithridatisation au pédantisme. À force de ne comprendre qu'à moitié, il s'est empoisonné le cerveau !

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    Vie et mort du vocabulaire

    PAR VÉRONIQUE GROUSSET.
     Publié le 29 décembre 2006
    Actualisé le 30 décembre 2006 : 17h32
     

    Si vous aimez les mots, ce petit cadeau de fin d'année devrait vous plaire : un florilège de ceux qui ont disparu ou qui sont nés depuis un siècle, concocté pour nous par un expert en dictionnaires.

    «Pourquoi les mots disparaissent-ils ? Pas seulement parce qu'ils désignent un objet, un concept ou une idée qu'on n'utilise plus. Je crois que cela tient davantage à leur usure : à force d'être employés, leur pouvoir d'évocation s'émousse. Il faut donc en trouver sans cesse de nouveaux ; plus évocateurs, plus surprenants, qui permettent de réveiller l'auditoire et de mieux s'en faire entendre.»

    L'homme qui disserte ainsi sur la vie et la mort des mots s'appelle Jean-Claude Raimbault. Oui, comme Arthur ; mais la comparaison s'arrête à la phonétique car il redoute plus que tout qu'on le prenne pour un poète ou, pire, un «amoureux des mots». Ni sociologue ni linguiste, ce retraité de l'informatique n'en est pas moins considéré comme le meilleur spécialiste des modes du vocabulaire depuis qu'il a décidé de consacrer l'essentiel de son temps libre à un «pari fou» : décortiquer toutes les éditions du Petit Larousse illustré, de 1906 à nos jours, sans se laisser rebuter par leur épaisseur croissante.
    «Chaque année, davantage de mots apparaissent qu'il n'en disparaît, constate-t-il en effet. Un dictionnaire de format courant en recense aujourd'hui 52 000 ; dont 18 000 apparus au cours du dernier siècle, qui font plus que compenser les 10 000 qui en ont été éjectés.»
    Dix-huit mille mots nouveaux et dix mille disparus : une somme impressionnante dont Jean-Claude Raimbault a tiré plus d'un ouvrage à succès *. Mais comme il serait impossible de citer toutes ses trouvailles, nous lui avons demandé d'en concocter un florilège, qu'il a bien voulu commenter avec autant de pertinence que d'humour.

     

    Les mots dont il regrette la disparition

    Machicatoire «Tellement plus joli et explicite que chewing-gum.»

    Photostoppeur «Apparu récemment pour identifier ce métier qui consistait alors à photographier les gens dans des lieux publics, l'appareil à l'épaule, mais très vite disparu. Sans doute assassiné, en même temps que cette activité, par la banalisation du numérique.»

    Faire-le-faut «Une chose inévitable qu'il faut faire ou subir. Il y a un peu de passéisme dans mon regret, je l'avoue, mais pour une fois que je suis sensible à la poésie d'un mot, tout chargé qu'il est d'une résignation ancestrale, et balayé par le rythme de notre vie...»

    Cligne-musette «L'ancêtre du jeu de cache-cache... J'aimais bien.»

    Humoriste «Sous sa définition de 1906, qui désignait un médecin qui considère que tous nos maux viennent de la circulation de nos humeurs. Et son acolyte succussion - comment peut-on vivre sans ? - qui consistait en un mode de diagnostic consistant à secouer violemment le patient afin d'écouter les bruits que produit son corps. Ces deux mots me manquent pour une raison assez puérile, je l'avoue, mais jubilatoire : j'adorerais pouvoir demander à mon médecin s'il est un humoriste pratiquant la succussion... Rien que pour voir sa tête.»

    Nouillettes «C'était pourtant plus joli et plus parlant que vermicelle, non ?»

    Bdelle «Genre de sangsue des pays chauds. Parce que c'était le seul mot de notre langue qui commençait par "bd". Les amateurs de mots croisés me comprendront.»

    Taroupe «Disparu après 1952, il désignait la touffe de poils qui croît dans l'espace séparant les deux sourcils. Pourquoi supprimer un mot alors que ce qu'il décrit n'en a pas fait autant ?»

    Zoïle «Je le regrette pour la même raison que le précédent. Un zoïle désignait un critique envieux ; une espèce qui, à ma connaissance, ne s'est malheureusement pas éteinte.»

    Usable «Remplacé par jetable : la fin d'une époque.»

    Les mots qui n'ont pas réussi à s'imposer

    Bouteur «A la place de bulldozer : c'était pourtant bien essayé, je trouve...»

    Boîte-boisson «Plutôt que canette : celui-là, par contre, il n'avait aucune chance.»

    Electragogue «Qui produit de l'électricité. Très laid, d'accord, mais on aurait bien rigolé, surtout appliqué aux centrales énergétiques...»

    Soulographier «Testé dans les années 50, mais peut-être trop compliqué à prononcer en état d'ébriété ?»

    Les mots qu'on aurait pu, selon lui, se dispenser d'inventer

    Quatre-vingt-dixièmement «Le parfait exemple du mot dont la seule utilité consiste à servir de bouche-trou au gré des besoins d'espace dans le dictionnaire. Du reste, je ne le retrouve plus dans ma dernière édition, mais je n'ai pas vérifié s'il avait été supplanté par deux cent quatorzièmement ou cent dixièmement.»

    Mature «Mot anglais, utilisé à la place de mûr ; alors qu'il est moins beau, et moins juste.»

    Solutionner «Au lieu de résoudre : pas beau, trop long, c'est du jargon, une perte de nuance, et en plus ça ne sous-entend pas du tout le même processus mental.»

    Vérificationnisme «Débarqué on ne sait vraiment pas pourquoi !»

    Procellariiforme «Cet oiseau voilier de haute mer a beau avoir deux "l" comme il se doit, et deux "i" en prime, je ne suis pas sûr que cela suffise à justifier sa présence dans le langage courant.»

    Hexachlorocyclohexane «Typique de l'envahissement de nos dicos par des mots - 457 en un siècle ! - souvent superflus, liés à la chimie. Franchement, qui a besoin de savoir ce qu'est l'hexachlorocyclohexane ? Je suis choqué de voir qu'un mot comme bruissant disparaît pour lui faire de la place.»

    Les mots dont il salue la disparition

    Pédantesquement «On se sent tout de suite plus léger sans lui.»

    Saugrenuité «Qu'il serait vraiment saugrenu de regretter.»

    Vomiturition «Vomissement fréquent qui se produit sans effort : un plaisir, en somme... Mais très inférieur à celui de le voir nous quitter !»

    Les mots dont il salue l'apparition

    Orgasme et calmement «Apparus tous les deux dans l'édition de 1972. Il était temps. Je me demande comment on faisait avant leur arrivée.»

    Les mots dont la définition le plonge dans des abîmes de perplexité

    Tabourin «Machine tournante placée au-dessus d'une cheminée pour l'empêcher de tourner. Et ça n'est sûrement pas une coquille, étant donné que cette définition est restée inchangée durant plusieurs éditions. Un lecteur qui aurait vu fonctionner cette étonnante machine, capable d'empêcher les cheminées de tourner, pourrait-il m'éclairer ?»

    Incirconcision «Ne pas appartenir au peuple juif. Les auteurs de cette édition-là du dictionnaire n'avaient-ils jamais entendu parler de l'Amérique où tous les protestants sont circoncis ? Ni de la mouvance hygiéniste qui préconise cette intervention depuis des siècles ?»

    Faux-cul «On ne le définit plus aujourd'hui que comme un accessoire de mode. Sans aucune allusion à son côté péjoratif ; ce que je trouve un peu faux-cul, quand même...

    Remake «Apparu en même temps que resucée mais qui n'y renvoie pourtant pas !»

    Semi-convergente «Se dit d'une série convergente qui n'est pas absolument convergente. Mais comme le même dictionnaire omet de définir ce qu'est l'absolue convergence en mathématiques, je ne vois pas comment un profane pourrait y comprendre quoi que ce soit.»

    Ploc «Défini comme étant le bruit que fait un objet en tombant dans l'eau, tandis que plouf l'est comme le bruit d'un objet tombant dans un liquide. Ah, mais !»

    Acéphalopode «Se dit d'un monstre sans tête ni pieds, un mot disparu dans les années 60... Sûrement en même temps que l'espèce qu'il désignait.»

    Bitoniau «Là, ce n'est pas la définition qui me pose un problème. En fait, je me demande surtout qui a décidé que bitoniau devait s'écrire comme ça.»

    Mais ce qui frappe surtout Jean-Claude Raimbault, «c'est la façon flagrante dont le contenu d'un dictionnaire reflète l'évolution de son époque». Et ce, à trois niveaux : le choix des mots bien entendu, mais aussi les exemples qui sont donnés pour leur usage et, enfin, l'objectif que se fixent manifestement les éditeurs : «Au début du siècle, explique Raimbault, les dictionnaires visaient clairement à éduquer : on y précisait l'usage des objets ou l'esprit des lois, on y prodiguait des leçons de morale, d'hygiène ou de secourisme. Tandis qu'aujourd'hui, ils se limitent à servir de référence ; l'un des rares domaines où le dico ose encore formuler un conseil, de nos jours, concerne ainsi la façon d'enfiler un préservatif ; et leurs définitions sont désormais rédigées dans un jargon certes exact, mais incompréhensible aux profanes. Prenons par exemple celle de la division. En 1906, une division était "une opération par laquelle on partage une quantité en un certain nombre de parties égales" : limpide, simple, accessible à tous. Alors qu'en 2002, on nous explique que "la division d'un réel a par un réel b non nul" est définie comme "l'opération consistant à trouver la solution x unique de l'équation bx = a, quand elle existe, ou à trouver une solution approchée sous certaines conditions données"... Et l'on va même jusqu'à nous préciser que "la division euclidienne de l'entier naturel a par l'entier naturel b non nul» est une "opération consistant à trouver les entiers naturels q (quotient) et r (reste) tels que a = bq + r avec 0 < r < b". C'est juste, d'accord ! Mais qui y comprend quelque chose à part les spécialistes qui n'ont pas besoin de regarder dans Le Petit Larousse pour savoir ça ?»

    Le choix des mots est lui aussi très parlant : «J'ai déjà évoqué le remplacement d'"usable" par "jetable". Mais n'oublions pas "anti-tout" ni les cinquante "non-quelque chose" (non-événement, non-fumeur, non-inscrit, non-initié, etc.) apparus dans l'édition 2002, alors que les rédacteurs du dictionnaire n'en ont trouvé que cinq à éliminer : non-pair, non-interventionniste, non-résidence, non-vue et non-réussite !»
    Encore plus flagrant : le choix des exemples donnés pour illustrer le sens des mots. «En 1906, on "demande" en mariage. En 2002, on "demande" le divorce. Je n'invente rien ! En 1906, on "déclare" la guerre. En 2002, on "déclare" les droits de l'homme. En 1906, on "sort" de prison. En 2002, on "sort" de Normale sup. En 1906, le "chômage" est "une période d'inactivité pour une entreprise". En 2006, c'est "la cessation d'activité pour une personne". Je trouve que c'est quand même très symptomatique d'une époque. Même si je ne sais pas du tout quoi penser du fait que l'adverbe "calmement" n'est apparu que tout récemment, il y a un peu plus de trente ans...
    Cela dit, il serait faux d'en conclure que les dictionnaires courent après leur époque : ils ne lui courent pas après, ils la dépassent ! La preuve : l'édition d'une année est en vente dès le mois d'août de l'année précédente.»
    D'où, peut-être, la nécessité de sortir des éditions «spécial nouvel an». C'est en tout cas ce que fait cette année Le Petit Larousse illustré, sous une couverture dessinée par Moebius, avec un cahier de 32 pages recensant les toutes dernières naissances au pays des mots. Largement de quoi poursuivre le vagabondage que nous venons d'entamer ici même...

    * Jean-Claude Raimbault a notamment publié Les Disparus du XXe siècle, aux Editions du Temps, qui donne la liste complète des 10 000 mots abandonnés et des 18 000 accueillis dans les Petit Larousse de 1906 à 2002. Mais on peut lire aussi : D’un dico l’autre, aux Editions Arlea, et Si mon dico m’était conté, aux Editions Mango.