Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Sans René Char
Le Printemps des poètes fête ses dix ans et Charles Dantzig n'y est pour rien. L'auteur de l'indispensable « Dictionnaire égoïste de la littérature française » (Grasset) écrit : « Je ne suis pas sûr que le Printemps des poètes, institué par un ancien ministre de la Culture, soit très malin, mais ça ! Nous avons fini par prendre un petit air kitsch soviétique, avec nos scoutismes d'Etat, Printemps des poètes, Fête de la musique, Paris-Plages (...) » (p. 669). Il ajoute : « Grâce à cette manifestation, les journaux parlent de poésie une fois par an, après quoi ils sont tranquilles. »
Le Printemps des poètes a démarré hier avec une soirée au théâtre Mogador à Paris. Des comédiens ont lu Andrée Chedid, Aimé Césaire, Henri Michaux ou Walt Whitman. La manifestation se prolonge jusqu'au 16 mars. A La Rochelle, la poésie québécoise est à la fête, à Reims, la poésie africaine (www.printempsdespoètes.com). Les éditeurs publient des anthologies : « A poèmes ouverts » (Seuil), « Je est un autre » (Seghers) et « Les Plus Belles Pages de la poésie française » de la Sélection du Reader's Digest.
Les ouvrages de la Sélection sont à l'édition ce que les bonnes vieilles berlines familiales sont à l'automobile. La créativité, l'imagination, l'esthétique ne sont pas toujours au rendez-vous, mais l'acheteur en a pour son argent : solidité, fiabilité. « Les Plus Belles Pages... » débutent sans surprise par l'anonyme « Chanson de Roland ». « Beau sire Ganelon, dit Marsile le roi/J'ai telle armée, plus belle m'en verrez... » La Sélection - c'est le côté caisse à outils - a prévu quatre pages de glossaire pour lire les poèmes les plus anciens. Plus étonnant, l'anthologie se termine par « Le Jeu », un poème de Hector Saint-Denys Garneau. Franchement, qui connaît ce poète ? Même Dantzig, qui a tout lu, n'en parle pas. L'index biographique de la Sélection - là encore, le côté fiable, break confortable, de l'éditeur - sort le lecteur de l'ignorance. Hector de Saint-Denys Garneau (1912-1943) appartient à une famille célèbre des lettres canadiennes. Il a vécu reclus, il est mort mystérieusement au bord d'une rivière. Son poème démarre bien : « Ne me dérangez pas je suis profondément occupé ». On s'attend à une facétie à la Queneau, on débouche sur du Sully Prudhomme (p. 476), terreur des écoliers de jadis qui butaient sur ses vers et premier prix Nobel de littérature (1901). Tous les plus grands poètes sont présents dans ces 800 pages : de Malherbe à La Fontaine, de Hugo, Lamartine, Baudelaire, Nerval à Tzara, Péret, Aragon... Ou presque. Il en manque au moins un, majeur : René Char.