Michael Kenna, c'est un rendez-vous, seul avec la nature, juste avant l'aube. «C'est un moment exquis, mon heure préférée, l'exact opposé du crépuscule entre chien et loup, dites-vous en France. La nature vous enveloppe. Le moindre mouvement vous effleure. Vos sens sont aux aguets. Votre esprit, libéré par cette solitude, cette atmosphère de recueillement et de résonance, peut vagabonder, penser, imaginer, rêver en paix. La beauté des choses s'impose à vous, vous donne le sentiment de jouir d'un privilège. Cette beauté, on peut la trouver partout. Devant un arbre, une barrière ou dans une fabrique industrielle, dans les jardins de Versailles, forcément, mais aussi en Chine, si souvent photographiée dans sa laideur contemporaine et le saccage de son environnement. C'est une question de point de vue, de philosophie.»
En trente-cinq ans de photographie, Michael Kenna le marathonien (plus de 44 médailles à son actif) a défini son continent en arpenteur paisible et déterminé de la planète bleue. Son continent est résolument noir et blanc, «choix du plus mystérieux, plus subjectif aussi, car nous voyons tout en couleurs tout le temps». Et la belle rétrospective que lui consacre la galerie de photographie de la BNF montre à merveille comme ses tirages sont travaillés en chambre noire, veloutés aux contrastes nuancés, lourds de sens, de communion avec le sujet à la manière d'un Turner, d'un Friedrich ou d'un Constable, peintres chers à son œil. «Le plein soleil, le grand ciel bleu, voilà ce qui ne m'intéresse pas. Trop de lumière aplatit tout et efface ce qui est le plus personnel d'un regard. Je ne veux pas faire de photocopie parfaite de la réalité, je préfère suggérer», explique de sa voix posée de confesseur ce Britannique de souche irlandaise installé avec femme et enfant à Seattle (États-Unis).
Statuary, Vaux-le-Vicomte, France, 1988 (©Michael Kenna)
Fils d'une famille nombreuse de l'Angleterre prolétarienne, Michael Kenna aurait pu être prêtre plutôt que «vagabond photographe», inventeur coté du nouveau paysage «zen», catégorie qu'il «rejette comme toutes les autres». De son propre élan, ce fils proche de Liverpool et de sa fureur de vivre a voulu devenir enfant de chœur dès que possible, tant il était «fasciné par les rites et les cérémonies de l'Église catholique». À 10 ans et demi, il est entré vaillamment au petit séminaire et en garde aujourd'hui non pas la révolte contre l'ordre supérieur, mais « le goût paisible d'une vie de discipline et la saveur du silence». Les règles strictes - «pas de bavardage après les prières du soir, à 20 h 30, jusqu'aux grâces du petit déjeuner, à 8 heures du matin» -, expliquent peut-être son aptitude aux photos de nuit, son goût du vide d'avant l'éveil, de la contemplation devant le miracle du monde et son mouvement cosmique.
«Une expérience partagée»
Il n'y a pas de personnages dans ses photos, à peine son ombre de témoin dans sa série mesurée et déroutante sur les camps de concentration, «souvent des lieux idylliques où l'homme, seul, a créé l'enfer». «Je préfère le temps suspendu à l'hyperactivité humaine. On se perd dans ce tourbillon. Je veux inviter le spectateur dans une image. Qu'il s'y sente bien, libre, que son esprit soit simulé, que son imagination furète. J'aime l'idée qu'il prenne part au paysage qu'il regarde. C'est pour cela que mes tirages sont petits, contrairement aux diktats de la mode qui ne m'intéresse pas. Je veux qu'il s'approche tout près. On n'a pas la même relation aux choses vues de loin. C'est une expérience partagée», admet ce lecteur de Kawabata le méditatif (Pays de neige, bien sûr) et d'Haruki Murakami aux divagations hantées (Kafka sur la plage).
Michael Kenna, enfin, c'est l'anti- paparazzi qui vole le cliché en une seconde. Il prend son temps, même devant un arbre, l'apprivoise en quelque sorte, et revient sur les lieux de ses émotions. Il en reste manifestement quelque chose.
«Michael Kenna, rétrospective » à la BNF site Richelieu, jusqu'au 24 janvier (exposition virtuelle sur http://expositions.bnf.fr/kenna/). Tout son travail à voir sur son site (www.michaelkenna.net).
http://www.lefigaro.fr/culture/2009/11/04/03004-20091104ARTFIG00650-kenna-objectif-silence-.php