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Les polars - Page 41

  • Catégories : Les polars

    Polar à lire:Le massacre du printemps

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    ASTRID ELIARD.
     Publié le 24 mai 2007
    Actualisé le 24 mai 2007 : 11h31

    Dominique Sylvain - Ce n'est pas la belle saison qui fait tomber les morts comme des mouches. La stripteaseuse mélancolique et l'ex-commissaire hédoniste qui mènent l'enquête en sont bien convaincues...

    NOIR est la couleur du polar. Chez Dominique Sylvain, c'est plutôt un vert gazon qui fleure la rosée et que piétinent gracieusement des poules d'eau. L'Absence de l'ogre, son nouveau roman, commence avec le printemps, sur une pelouse du parc Montsouris. Jusqu'ici tout va bien, les oiseaux chantent, les bourgeons frétillent et le chef jardinier tempête contre ses ouvriers qui se tournent les pouces. Mais voilà qu'à deux pas du grand Kennedy (les arbres portent des noms de présidents), le cadavre d'une jeune fille asphyxiée gâche le concert de la saison nouvelle. C'est Lou Necker, la chanteuse gothique des Vampirellas. Le commissaire Duguin et sa suite soupçonnent d'emblée Brad Arceneaux, un Américain de La Nouvelle-Orléans, jardinier aux mains d'or et à la stature de colosse, dont la désertion, ce matin de crime, signerait l'aveu.
    Mademoiselle Diesel ne l'en­tend pas de cette oreille. Ingrid - les lecteurs fidèles de Dominique Sylvain la connaissent déjà - est stripteaseuse au Calypso. Ses jambes graciles ont arpenté les enquêtes de Passage du Désir, des Filles du Samouraï et de Manta Corridor. Améri­caine, elle parle un français à la Jean Seberg. Ses barbarismes sont des trouvailles, et ses « ça se dit ? » qu'elle dégaine à chaque phrase, désarmants. À La Nou­velle-Orléans, quinze ans avant le meurtre de Lou Necker, Brad Arceneaux avait sauvé la vie d'Ingrid. Impossible donc, qu'il l'ait retirée à qui que ce soit. Pour sortir la stripteaseuse de son cafard, Lola Jost, une ex-commissaire rondouillarde qui aime le bon vin, saint Augustin et les jolis garçons, mène l'enquête en vue d'innocenter Brad. Les deux ­femmes quadrillent les lieux du crime, interrogent les témoins, leur graissent la patte si besoin. Résultat : elles ont une belle ­longueur d'avance sur la police. Il n'en faut pas plus pour excéder le commissaire Duguin, qui a perdu de sa célérité depuis qu'il a vu Ingrid s'effeuiller au Calypso.
    Un gang de jardiniers
    Les morts - qui tombent comme des mouches depuis la disparition de Lou - ont mal choisi leur saison. Difficile de les traquer quand le printemps et « la puissance du regain » n'incitent qu'à l'ivresse et la jouissance. Il faut pourtant ­raison garder pour démêler des enquêtes gigognes, d'où surgissent un promoteur mafieux et son acolyte blonde platine, une bonne soeur, un mécène poussiéreux, des artistes louches, un gang de jardiniers qui électrifient les parcs parisiens pour coincer un meurtrier volatil. Le titre de ce roman, L'Absence de l'ogre, qui est tiré d'un aphorisme d'Alphonse Allais en dit long sur Dominique Sylvain. Elle n'aime rien tant que subvertir le polar pour en faire une explosion ­végétale, un jeu de piste truffé de citations et des jeux de mots de Lola, d'autant plus jubilatoires qu'Ingrid les comprend toujours avec un temps de retard. Dominique Sylvain navigue avec aisance dans les méandres du franglais. Elle en sort des petites merveilles de poésie et d'humour. Saluons aussi ses dialogues millimétrés, vigoureux et gouailleurs, qui mériteraient l'anthologie.
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    Polar à lire

    1c95039871a5bf4fb22ff3d872e5f6ca.gifpar Annick Colonna-Césari

     La célèbre tapisserie de Bayeux est au cœur d'une réjouissante énigme policière signée Adrien Goetz.

    Que sont devenus les trois derniers mètres de la célèbre tapisserie de Bayeux, racontant la conquête, en 1066, de l'Angleterre par les Normands? Et surtout, que représentaient-ils? C'est à ce mystère, jamais élucidé, que s'attelle, bien involontairement, la jeune Pénélope Breuil, 29 ans, au prénom prédestiné. A peine nommée conservatrice adjointe au musée de Bayeux (à sa grande déception), cette égyptologue de formation se retrouve en effet embarquée dans l'énigme. Car Solange Fulgence, sa chef, au seuil de la retraite, est victime d'une tentative d'assassinat, juste avant la mise aux enchères, à Drouot, de fragments de la fameuse tapisserie...

    Ainsi démarre, sur les chapeaux de roue, cette Intrigue à l'anglaise. Signée Adrien Goetz, historien d'art et romancier (il a reçu le prix Roger-Nimier et le prix des Deux-Magots en 2004, pour La Dormeuse de Naples), cette comédie policière mêle, avec humour, art et politique, réalité avérée et fiction délirante. Transformée en détective, «Péné», comme l'appelle son petit ami, Wandrille, journaliste dandy, se pique au jeu. De fil en aiguille, elle déroule une trame millénaire qui, démarrant sous Guillaume le Conquérant, s'achève en 1997, dans le tunnel de l'Alma, où Diana, princesse de Galles, périt au côté de Dodi El-Fayed. En démêlant l'écheveau, elle croise également Vivant Denon, le duc et la duchesse de Windsor, Himmler, ainsi que quelques autres personnages fort peu recommandables. Les péripéties de cette intrigue s'enchaînent à un rythme trépidant. Car Adrien Goetz sait jouer avec maestria des effets de suspense et des rebondissements. Sa plume érudite et légère est un ravissement de tous les instants.

    Intrigue à l'anglaise
    Adrien Goetz

    éd. Grasset
    338 pages
    18 €
    118,07 FF

    Source:http://livres.lexpress.fr/critique.asp/idC=12800/idR=9/idG=3

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    Polar à lire:"Le Fleuve caché" d'Adrian McKinty

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    C. M..
     Publié le 03 mai 2007
    Actualisé le 03 mai 2007 : 11h39

    Avec ce polar bien noir, l'auteur irlandais Adrian McKinty signe un second roman parfaitement maîtrisé.

    BELFAST (Irlande) - Boulder (Colorado), sept fuseaux horaires de décalage : pendant que la belle Victoria Patawasti, irlandaise d'origine indienne, meurt assassinée en Amérique, Alex Lawson, son amour d'adolescence, est en train de coucher avec une fille de hasard sur un bateau dans lequel ils ont illégalement pénétré. Il pleut sur Belfast.
    Depuis dix ans qu'ils se sont quittés, Victoria et Alex ont fait du chemin. Elle, installée aux États-Unis, travaille pour une association de « défense raisonnée de la nature » (lire : un club républicain qui, sans s'aliéner les grandes sociétés capitalistes, entend s'approprier un terrain généralement dévolu aux démocrates). Lui, promis à un avenir brillant dans la police, a succombé à l'héroïne, puis été licencié.
    Le meurtre de Victoria est attribué à un cambrioleur, et l'affaire en resterait là si monsieur Patawasti ne se souvenait que l'ancien flirt de sa fille a été enquêteur, et si Alex, menacé par d'anciens collègues, n'éprouvait le besoin de changer d'air. Il s'envole pour le Colorado, accompagné de son meilleur ami, flic honoraire incompétent, et dragueur notoire...
    Le lyrisme de la nostalgie
    Le Fleuve caché (second roman d'Adrian McKinty, après À l'automne, je serai peut-être mort) est un authentique roman à suspense : Alex en sait quelque chose, pour qui le Colorado devient rapidement aussi mouvementé et périlleux que l'Irlande. Mais, à la différence de trop de romans policiers, il s'agit avant tout d'un beau morceau de littérature, dans lequel l'intrigue est finalement un prétexte, qui a moins d'importance que ses à-côtés, que les moments où l'écrivain se laisse dériver.
    L'auteur - qui a accompli le même parcours que ses personnages : né en Irlande, il vit dans le Colorado - conte l'histoire d'un amour nécrophile : si Alex tient autant à découvrir le véritable responsable de la mort de Victoria, c'est qu'il l'aime, même morte, plus que la sublime blonde, bien vivante celle-là, plus bostonienne que nature qui lui prête son corps dans des buts dont le lecteur averti se doute qu'ils ne sont pas innocents. Alex communique véritablement avec la morte - et ce n'est pas un hasard si la scène finale du livre, la résolution quasi mystique de l'énigme, se passe en Inde, au bord du fleuve, dans le pays des ancêtres de la jeune femme, sur les lieux où son âme est toujours présente.
    Le Fleuve caché impressionne par la richesse et la diversité de son ton et de son écriture, passant avec aisance du lyrisme ample de la nostalgie de l'amour perdu au rythme saccadé du narrateur sous l'emprise de l'héroïne. La partie satirique du livre - de jeunes républicains, riches et ambitieux, faisant du porte-à-porte afin de distribuer brochures, phrases creuses et larges sourires sans âme - pour être facile, n'en est pas moins réussie et jouissive. C'est aussi cela, l'Amérique.
    Ce livre rare et maîtrisé est une réussite bien digne de la Série noire qui, depuis deux ans, dopée par l'enthousiasme de son nouveau patron, comble à la fois les lecteurs de romans noirs et les amateurs de très bonne littérature.
    Le Fleuve caché d'Adrian McKinty traduit de l'anglais par Patrice Carrer Gallimard, 410 p., 22 €.
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    UN THRILLER MASQUÉ

    Sébastien en taule

     

     

     

    Une plongée en apnée dans la cellule de Zarkane, condamné par les jurés d'une cour d'assises à vingt-deux ans de prison pour un double meurtre dont il se dit innocent. Il raconte sa vie incroyable à son codétenu : petit Gitan né d'une aventure sans lendemain, il a grandi dans un camp près de Toulon. D'une mère gitane et d'un père russe, il a appris la vie au milieu d'enfants qui « devenaient des hommes sans passer par l'adolescence » . Recueilli par un médecin au grand coeur à la mort de sa mère, il devient pour son malheur le protégé d'un mafioso, Fernand, dit l'Anguille. Scénario impeccable, bande-son irréprochable ( vous comprendrez en le lisant ), ce thriller a de quoi surprendre. Reçu à la rédaction du « Nouvel Observateur » il y a quelques semaines, il serait passé presque inaperçu au milieu des dizaines d'autres nouveautés s'il n'y avait eu cette émission chez Laurent Ruquier où Joseph Lubsky est apparu pour la première fois. Un drôle de vieux type. Crâne rasé, démarche hésitante, élocution bizarre ( genre Brando dans « le Parrain ») : ce personnage étrange ne s'est pas démonté lorsque Michel Polac a déclaré ne pas avoir aimé son livre en finissant par admettre qu'il ne l'avait pas lu. « Alors, votre opinion n'a pas d'importance pour moi », a répliqué le vieil homme du tac au tac, mettant les rieurs de son côté. Il était si bien grimé qu'il a dupé tout le monde. Bien malin qui aurait reconnu Patrick Sébastien. « Je n'ai pas voulu faire de bluff, dit-il, j'ai vraiment écrit “ la Cellule de Zarkane” . Mais, si j'avais signé de mon nom, les critiques n'auraient même pas mis le nez dedans. » On vient pourtant de le faire, et voici notre verdict : « la Cellule de Sarkane » ( qui va devenir un film pour France 2 ) est un vrai bon thriller. Bravo !

    « La Cellule de Zarkane », par Joseph Lubsky, Florent Massot, 302 p ., 19, 50 euros.



    Marie-France Rémond

    Le Nouvel Observateur - 2221 - 31/05/2007

    Source:

    http://livres.nouvelobs.com/p2221/a345945.html

     

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    Polar à lire: Mo Hayder, "Pig Island"

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    L'ange du noir

    par Delphine Peras

     Cette charmante Anglaise est devenue la reine des thrillers macabres. Elle récidive avec le saignant Pig Island. Portrait d'une romancière fascinée par l'horreur.

    Comment une jolie femme à l'allure si frêle, presque angélique, peut-elle écrire des romans si durs? Comment Mo Hayder - un nom de plume délibérément androgyne - 44 ans à peine, peut-elle concevoir des polars si torturés? Dans le premier, Birdman, paru en 2000, un maniaque sexuel éventrait ses victimes et les farcissait d'un petit oiseau vivant, avant de recoudre le tout. Publié deux ans plus tard, L'Homme du soir remettait en scène l'inspecteur Jack Caffery pour l'embarquer dans une effroyable histoire de pédophilie. Plus original encore, le scénario de Tokyo, grand prix des Lectrices de Elle en 2006, s'inspirait du massacre de la ville chinoise de Nankin, perpétré par les forces japonaises en 1937.

    Et voilà qu'avec Pig Island, son nouveau thriller, l'Anglaise imagine les agissements démoniaques d'une secte habitant un îlot perdu, au large des côtes occidentales de l'Ecosse, où le précédent propriétaire élevait des porcs. Entre la rumeur d'une mystérieuse créature, mi-homme, mi-bête, filmée sur l'île par un touriste éméché, et l'odeur pestilentielle de cadavres (d'animaux ou d'humains?) que la mer apporte, un journaliste d'investigation ultracartésien, Joe Oakes, veut en avoir le cœur net. Le lecteur, lui, l'a vite au bord des lèvres, tant Mo Hayder excelle à créer une atmosphère morbide, pesante, incertaine. Ici, le pire semble toujours sûr.

    Pas de message, juste divertir
    «L'horreur me fascine peut-être parce que, enfant, j'ai été très protégée par ma mère», avance la romancière d'une voix douce. «Mais j'ai quitté mes parents à l'âge de 15 ans et j'ai pas mal roulé ma bosse, multiplié des expériences assez dures.» Autrement dit une jeunesse très sexe, drogue et rock'n'roll, où les excès seront fatals à certains de ses amis. «Ce qui m'a fait comprendre combien la violence et la mort font partie de la vie.» Tour à tour vigile dans un collège de Brixton, où frayaient des dealers, étudiante aux Etats-Unis, hôtesse de bar à Tokyo, Mo Hayder finira par trouver la sérénité dans sa maison de Bath, charmante ville historique proche de Bristol, où elle vit aujourd'hui avec son mari, Keith, et leur petite fille de 5 ans.

    Pas question pour autant de retenir son inspiration terrorisante. «Pour Pig Island, j'ai commencé avec le témoignage d'une amie infirmière psychiatrique: elle m'avait parlé d'une malade mentale en proie à un délire sataniste, dont le corps était couvert de cicatrices.» L'expérience d'un oncle, professeur à Cambridge avant de rejoindre un groupe d'illuminés, lui a également servi. «Il était très ami avec l'illusionniste Uri Geller. J'ai donc grandi en sachant pertinemment ce qu'était une secte. Et je suis sans doute la seule personne que les scientologues n'ont pas voulu convertir!» Pour autant, Mo Hayder se défend de vouloir faire passer un quelconque message. «J'écris d'abord pour divertir. En fait, j'écris ce que j'aimerais lire.» Non sans prendre un malin plaisir à égarer le lecteur. D'où le grand soin qu'elle apporte à la construction de ses livres, machiavélique, souvent à plusieurs voix, étayée par un style à la fois énergique et très personnel. «Je connais la fin dès le début. Je fais en sorte qu'elle remette en question tout ce qui précède. Je voudrais qu'une fois le livre terminé mon lecteur se sente obligé de le relire entièrement à la lumière du dénouement.» De l'art d'éblouir avec des cauchemars... Assurément, Mo Hayder est une rareté.


     Pig Island
    Mo Hayder
    éd. PRESSES DE LA CITE
    Trad. de l'anglais par Hubert Tézenas.

    390 pages
    20 €
    131,19 FF


    http://livres.lexpress.fr/portrait.asp/idC=12743/idR=5/idG=4


     
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  • Catégories : Les polars

    Poulets au vinaigre

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    BRUNO CORTY.
     Publié le 29 mars 2007
    Actualisé le 29 mars 2007 : 12h46
    Mordu du polar, Claude Chabrol a adapté des romans signés Simenon, Manchette, McBain et Rendell.
    Hermann J. Knippertz/ AP.

    À l'occasion du festival Quais du polar, à Lyon, découvrons avec Claude Chabrol la nouvelle vague d'auteurs qui s'imposent aujourd'hui dans cette littérature de genre.

    DEPUIS presque un demi-siècle, Claude Chabrol est un mordu de polar. Les deux tiers de sa filmographie, qui compte une bonne soixantaine de titres (cinéma et télévision), d'À double tour (1959) au tout dernier, La Fille coupée en deux (qui sortira en salle à l'automne 2007), relèvent du genre. Simenon, Frédéric Dard, Patricia Highsmith, Ruth Rendell, Ed McBain, Manchette sont quelques-uns des grands qu'il a adaptés. « J'aime toutes les catégories du polar, nous confiait-il récemment. L'atmosphère»série noire* est la plus facile à rendre visuellement ; le suspense et l'énigme sont beaucoup moins simples. » Une passion qui remonte à l'enfance : « J'ai eu la chance formidable que mon premier roman policier, à neuf ans, soit Le Crime du golf d'Agatha Christie. Après, je n'ai plus arrêté d'en lire. Ensuite, il y a eu les films policiers. Après-guerre, j'ai vu Nick, gentleman détective sur un scénario de Hammett. Et il y a eu Hitchcock, bien sûr... »
    À l'éternelle question de savoir qui du cinéma ou de la littérature a le plus influencé l'autre, Chabrol répond sans hésiter : « Le bon cinéma policier est né de la littérature. Pour ça, les Américains ont été formidables. La littérature comportementale des Dashiell Hammett, James Cain était tellement visuelle que le cinéma ne pouvait que s'en inspirer. »
    En France, dans les années 1950 et 1960, tourner un film policier était un peu le passage obligé pour tout débutant : « Les producteurs étaient prudents. Ils se disaient que même un film merdeux pouvait s'en sortir grâce à une petite intrigue. Le spectateur ne devait pas trop s'ennuyer. Pour autant, je récuse l'idée qu'il est simple de faire un bon polar. Comme une bonne comédie, d'ailleurs. Essayez d'adapter Simenon, ses flots de pensée, ses flash-back ou les intrigues d'Ellroy, et vous comprendrez pourquoi les gens qui méprisent le polar sont des rigolos. »
    Ce lecteur passionné qui est aussi éditeur à ses heures (on lui doit quelques titres ou auteurs oubliés chez Rivages, notamment le superbe Tonneau, de F. W. Crofts) distribue, sans barguigner, bons points et mauvaises notes aux auteurs du moment.
    Si sa préférée est, de loin, Fred Vargas (« C'est tout de même mieux que Patricia Cornwell ! »), Jean-Hugues Oppel, à qui il a rendu hommage dans L'Ivresse du pouvoir en filmant la couverture de French Tabloïds, et Pascal Dessaint, dont il soutient le nouveau roman, Cruelles natures, comme l'oeuvre d'un styliste tendance Manchette, lui plaisent bien. Tout comme le fantasque Italien Andreas Pinketts, dont il parle sans arrêt. En revanche le réalisateur n'est pas captivé par Jean-Christophe Grangé et ses émules : « C'est le Cobain français » s'écrie-t-il. Ce qui n'est pas un compliment dans sa bouche quand on sait qu'il dit du même Cobain : « C'est Mary Higgins Clark au féminin ! » À soixante-seize ans, Claude Chabrol a toujours l'oeil sur le viseur !
  • Catégories : Les polars

    Regis Descott, "Caïn et Adèle"

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    OLIVIER DELCROIX.
     Publié le 19 avril 2007
    Actualisé le 19 avril 2007 : 11h50

    Pour son troisième roman, Régis Descott, l'auteur de « Pavillon 38 » explore à nouveau les terres du crime et de la folie.

    DEPUIS le succès de Pavillon 38, odyssée dantesque aux confins de la folie meurtrière (bientôt adapté au cinéma), Régis Descott semble littéralement hanté par son sujet.
    Comment revenir indemne d'un si terrifiant voyage en psychopathie ? La réponse coule de source : en écrivant la suite. Pour son troisième roman, l'auteur de L'Empire des illusions a décidé de replonger Suzanne Lohmann, son héroïne experte en psychocriminologie, au coeur d'une nouvelle intrigue à résonance biblique. Celle-là même qui opposa jusqu'à la mort deux frères, Abel et Caïn.
    On retrouve donc la belle Suzanne qui tente de reconstruire sa vie brisée, après avoir aidé à l'arrestation de « l'Anaconda », ce dangereux tueur en série qui démembrait ses victimes (et qui aura eu le temps de s'en prendre à son mari, laissant ses deux filles orphelines).
    Aujourd'hui, le Dr Lohmann a ouvert un cabinet de consultations dans le Ve arrondissement de Paris, et veut repartir à zéro. C'est mal connaître les arcanes du destin... Le commissaire Steiner refait appel à elle. Sa brigade a découvert une femme, la bouche mutilée en un horrible ­rictus, le sexe profané. La presse à scandale baptise rapidement l'assassin « l'homme qui rit », en référence au célèbre roman d'Hugo.
    Ne pouvant résister à « l'appel de l'abîme », la « profileuse » se jette dans cette nouvelle enquête... Ainsi que sous les roues d'une Ferrari conduite par Abel Frontera. Après le choc, c'est le coup de foudre. Mais qui est donc cet homme secret, éperdu d'amour pour la séduisante ­psychiatre ?
    L'oeil hugolien qui regarde Caïn
    En démiurge sourcilleux, Régis Descott met en place, les uns après les autres, tous les dominos de son thriller. Qui est donc ce transsexuel, visiblement déséquilibré, qui se présente à son cabinet en s'accusant du meurtre de sa mère ? Pourquoi lui révèle-t-il bientôt l'existence d'un jumeau meurtrier ? Quant à « l'Anaconda », comment a-t-il pu réussir à s'évader ? Va-t-il revenir pour se venger ?
    Non sans une certaine jubilation, l'écrivain applique cette petite poussée d'adrénaline, formidable pichenette romanesque qui déstabilise l'ensemble du récit, tout en le précipitant vers des sommets d'action imprévisibles. Et ça marche.
    Car Régis Descott possède ce don rare d'entraîner son lecteur au coeur de la scène. En romancier tout-puissant, il est l'oeil hugolien qui - même dans la tombe - regarde Caïn !
    Sans même s'en apercevoir, on pénètre dans l'esprit logique de l'inspecteur Steiner, on s'insère dans les intuitions flottantes de l'héroïne désarmée, ou l'on est submergé par les tortueuses confessions d'Adèle le transsexuel. On se glisse même - sans y prendre garde - au coeur des pensées profondes de « l'Anaconda », qui laisse filtrer d'étranges réactions affectives embryonnaires à l'égard du petit Ernst, autiste d'une dizaine d'années rencontré lors de sa fuite en forêt bavaroise.
    D'une écriture dense et précise, Descott compose ainsi un roman visuel, fiévreux et maîtrisé. Et qui laissera le lecteur sous tension... Jusqu'à la dernière ligne.
  • Catégories : Les polars

    Féminisme et roman policier

    Amanda Cross, Ruth Rendell, Dorothy Sayers. Féminisme et roman policier
    Ilana Löwy


     
    Plan de l'article


     

    Entre les deux guerres, le roman policier anglais est devenu une spécialité féminine. Les livres d’Agatha Christie, de Dorothy Sayers, et, un peu plus tard, de Ngaio Marsh et de Josephine Tey ont solidement établi la popularité des polars qui mélangeaient allègrement l’arsenic et les veilles dentelles. La place importante occupée par des femmes parmi les auteurs de polars n’est pas surprenante dans un pays où une proportion importante de romanciers renommés sont des romancières. D’autant plus que la publication des romans policiers fut une activité lucrative, un atout non-négligeable dans une période d’accès limité des femmes à certains métiers.

    Les « grandes dames anglaises » du polar ont rénové le genre en introduisant des intrigues ingénieuses, des descriptions minutieuses de certains milieux sociaux (en règle générale, les classes supérieures et moyennes, et les milieux intellectuels et artistiques), de fines études psychologiques, de l’humour et de l’ironie, et, surtout, des détectives de sexe féminin.

     

    • Féminisation du polar : la nouvelle héroïne

    Ces détectives-femmes sont souvent plus vivantes et attrayantes que les détectives masculins créés par les mêmes auteures. Parmi les plus anciennes, la célèbre Miss Marple d’Agatha Christie est une vieille dame agréable, malicieuse, et extrêmement intelligente ; et elle n’a aucun des attributs ridicules d’un Hercule Poirot, Belge à moustache cirée, chaussures trop étroites, maniaque de l’ordre, et à l’ego en proportion inverse de sa petite taille. De même, si Lord Peter Whimsey, créé par Dorothy Sayers, porte un monocle, souffre de cauchemars récurrents, et est originaire d’une famille noble dans laquelle l’excentricité se conjugue à la bêtise et la folie, sa contrepartie féminine, Harriet Wane, est une jeune femme saine et énergique, fille d’un médecin de campagne, dotée de bon sens, de joie de vivre, et d’un solide goût pour l’amitié.

    Cependant, le trait le plus important de ces femmes détectives est l’excellence de leurs capacités intellectuelles. Depuis les Aventures de Sherlock Holmes, l’attribut principal du détective dans un roman policier « classique » est sa capacité d’analyser l’évidence et d’opérer des déductions logiques. Si les femmes détectives – comme leurs collègues masculins – sont occasionnellement confrontées à des situations dangereuses, et sont capables de montrer leur courage, elles sont surtout très intelligentes.

    Les changements importants intervenus dans la situation des femmes depuis les années soixante ont eu des conséquences dans les polars, notamment d’action. Les femmes-détectives, officiers de police, juges, médecins-légistes, journalistes, détectives privés, et même gardes du corps, sont omniprésentes dans les polars contemporains, en particulier ceux (toujours plus nombreux) écrits par des femmes. En outre, ces romans, souvent américains, font un effort délibéré pour offrir une grande diversité d’héroïnes. Ces nouvelles enquêtrices ont des origines ethniques très diverses, un niveau d’éducation variable, des vies privées compliquées, et souffrent parfois d’un handicap ou d’une maladie chronique. Elles manient des armes à feu, sont entraînées aux techniques de combat, affrontent des criminels dangereux, risquent des coups et blessures. De plus, à l’instar des héros mâles, elles ont droit à une vie sexuelle souvent aventureuse, et leur sexualité peut jouer un rôle important dans l’intrigue. Il faut toutefois distinguer l’avènement des femmes dans des rôles exclusivement réservés auparavant aux hommes, de l’apparition dans le polar d’une thématique proprement féministe.

    • Le polar féministe

    Les polars dits « féministes » sont une minorité parmi ceux, très nombreux, écrits par des femmes. La plupart d’entre eux sont plaisants à lire, présentent des idées « politiquement correctes » du point de vue féministe, et ne se détachent pas vraiment de la production moyenne dans ce domaine. Je m’attarderai ici sur l’œuvre de deux auteures de polars à succès dont les livres, d’une excellente qualité, peuvent en même temps stimuler la réflexion sur les rapports entre hommes et femmes : l’Américaine Amanda Cross et la Britannique Ruth Rendell.

    Toutes deux ont commencé à publier des polars au début des années soixante (donc avant l’essor de la deuxième vague du féminisme), et leurs idées féministes se sont développées et affirmées avec le temps. Il y a cependant, outre la différence de nationalité et la spécificité de leur talent – Cross est perçue comme un bon écrivain de polars, Rendell comme un bon écrivain tout court – une différence de statut. Rendell est une écrivaine professionnelle, vivant de sa plume. Cross est le pseudonyme d’une professeure de littérature anglaise à l’université de Colombia (NY), Carolyn Heilbrun, et auteure de plusieurs ouvrages théoriques importants sur genre et littérature [1].

    Pendant une quinzaine d’années, C. Heilbrun a gardé secrète l’identité d’Amanda Cross, afin d’éviter à la fois toute conséquence fâcheuse pour sa carrière universitaire, mais aussi pour avoir un « espace de liberté » et le plaisir de posséder une double personnalité. Son héroïne, Kate Fansler, professeure de littérature anglaise dans une université à New York et détective à ses heures libres, est un portrait idéalisé d’Heilbrun elle-même, débarrassée de ses problèmes de poids et de ses origines juives, mais toujours munie d’un esprit vif et de solides connaissances littéraires. Dans ses premières apparitions, Fansler est présentée comme vaguement « progressiste ». Son féminisme s’affiche clairement pour la première fois en 1981, dans Mort d’un professeur titulaire [2]. Dans ce polar, Fansler tente d’aider une collègue, première femme professeure au département de littérature anglaise de Harvard. Les enseignants du département, forcés par la direction de l’université d’accepter cette nomination, tentent de trouver la candidate la moins dérangeante possible, c’est-à-dire une femme à la réputation professionnelle irréprochable, ouvertement hostile au féminisme et entièrement convaincue que la prétendue discrimination liée au sexe n’est qu’une invention de femmes paresseuses et médiocres. Hélas, sa confiance s’effondre face à l’hostilité déclarée de ses collègues masculins, tandis que son refus obstiné de reconnaître l’existence du sexisme et de s’allier à d’autres femmes de son milieu professionnel accroît son isolement et son désespoir. Confrontée à une série d’humiliations, elle sera retrouvée morte dans des circonstances mystérieuses. Le thème central de ce roman est l’importance de la solidarité féminine. Cross brosse une image vive des débats au sein du mouvement féministe nord-américain : l’opposition entre le féminisme « rangé » de Kate Fansler et de ses amis, et leur aspiration à réformer les institutions de l’intérieur, et le féminisme radical d’un groupe de femmes homosexuelles qui vivent en communauté et développent une idéologie anti-mâle. Bien que Cross ne cache pas sa sympathie pour la première variante du féminisme, elle guide Fansler avec peu d’hostilité vers la seconde. À la fin du livre, les féministes réformistes et radicales trouvent, momentanément au moins, un langage commun, et la cause des femmes à Harvard fait un bond en avant. Tout cela se fait dans un esprit bon enfant et dans une joie partagée.

    Avec ses héroïnes généreuses, intelligentes et drôles et ses « méchants » souvent pitoyables ou ridicules, les livres d’Amanda Cross proposent à la lectrice (progressiste et cultivée, cela va de soi) le monde enchanté des contes de fées. Cette atmosphère de « conte de fées féministe » se retrouve dans d’autres polars de Cross. Comme Pas un mot de Winifred : l’histoire, qui se déroule des deux côtés de l’Atlantique, réunit plusieurs femmes remarquables à la fois par leurs intérêts intellectuels, leur grande indépendance d’esprit et leur don pour l’amitié, en particulier avec d’autres femmes. Ces qualités leur permettent de triompher de l’adversité et de trouver le bonheur dans le travail, les relations humaines et la découverte du monde, et même de rencontrer des compagnons masculins qui savent les apprécier à leur juste valeur. On retrouve aussi d’autres thèmes récurrents : l’importance de l’amitié entre les femmes et la capacité des femmes à « renaître » à tout âge et sous toute condition. Cet optimisme affiché contribue sans doute au succès de ces polars. Nous voulons toutes et tous croire que la justice va triompher sur la méchanceté et la bêtise, que l’amitié et la solidarité sont des valeurs sûres, que la vie n’est ni absurde, ni tragique, ni fragmentée, et qu’on garde toujours la possibilité d’un nouveau départ. Cependant, l’univers idéalisé dans lequel circule Fansler peut rappeler l’observation faite par Heilbrun au sujet d’auteures comme Louise May Alcott ou George Eliot : leurs héroïnes sont souvent plus conventionnelles et moins courageuses qu’elles-mêmes.

    • Violences contre les femmes, violence des femmes : les destins d’une révolte

    Même en s’attaquant, dans Un espion imparfait, à un sujet qui se prête peu à l’angélisme – la violence conjugale – Cross réussit à créer une atmosphère de bienveillance généralisée [3]. Ce livre est inspiré par l’œuvre de John Le Carré, mais Cross est très loin de l’amertume désabusée de ce dernier. Kate Fansler collabore dans ce polar avec une autre « bonne sorcière », une femme à la retraite qui a su se forger une personnalité et une identité nouvelles. Et l’héroïne va y défendre une jeune femme qui a subi pendant des années les violences de son mari, un professeur de droit, et qui a fini par l’assassiner. Celle-ci est reconnue coupable de meurtre avec préméditation et condamnée à la prison à perpétuité, sans tenir compte du fait que la loi américaine a reconnu récemment les violences conjugales comme une circonstance atténuante. Les réflexions sur les raisons qui ont poussé cette jeune femme à demeurer avec cet époux violent sont mêlées à une histoire de réforme d’une faculté de droit conservatrice et sclérosée. Le mari, professeur de droit, était très soutenu par ses collègues mâles. À l’issue du livre, l’espoir d’un jugement plus équitable pour la meurtrière est associé au réveil politique des étudiants de la faculté, amenés par l’enseignement éclairé de Fansler et ses amis à réviser leurs positions conservatrices et leurs préjugés sexistes.

    La violence contre les femmes, et le sort réservé à une femme battue qui tue son partenaire violent sont également au centre du récent livre de Ruth Rendell, Il n’y a pas de mal [4]. En juxtaposant ces deux livres, on apprend que, contrairement aux Américains, les Britanniques n’accordent pas de circonstances atténuantes aux femmes victimes de violences conjugales qui tuent leur partenaire. On apprend aussi qu’au Royaume-Uni comme aux USA (et en France, mais on en parle rarement), les brutalités contre les femmes ne sont nullement limitées aux couches populaires, et peuvent avoir lieu derrière les volets clos des villas des beaux quartiers. Cependant, l’univers décrit par Rendell est fort différent du monde dépeint par Cross. Si le New York de Cross est une ville étonnamment paisible, Kingsmarkham, la petite ville anglaise de Rendell, est un univers social en pleine désintégration. Rendell décrit avec compassion, mais sans complaisance, des vies sordides, des trajectoires interrompues, des actes illogiques, une violence souvent gratuite, faite de petite délinquance et de grande souffrance, et les tentatives pathétiques pour construire de petits îlots d’ordre au milieu du chaos afin de retrouver occasionnellement la chaleur humaine, la solidarité et l’espoir.

    • Rendell et l’engagement féministe : un combat avant tout « social »

    Pour comprendre l’attitude de Rendell envers les violences contre les femmes, il faut remonter aux racines de ses réflexions féministes qui apparaissent pour la première fois dans Une vie endormie en 1978, et sous une forme plutôt critique [5]. Sylvia, la fille aînée de l’inspecteur Wexford, le héros de la plupart des polars de Rendell, traverse une crise dans son mariage. Mariée très jeune, mère de famille menant une existence aisée auprès d’un mari architecte, elle découvre le féminisme, et refuse d’être cantonnée dans le rôle d’une « simple ménagère ». Wexford, heureux dans un mariage très traditionnel, trouve ses complaintes ridicules, ses discours enflammés sur l’esclavage domestique des femmes déplacés sinon franchement ridicules, ses critiques incessantes de sa mère fort irritantes, et son attitude proche de celle d’une petite fille gâtée, une opinion que semble partager Rendell. Cependant, le roman s’attaque en même temps à l’un des thèmes chers aux féministes : les avantages de la possession d’un corps mâle. Une femme qui réussit à « passer » pour un homme améliore considérablement sa position dans la vie. Elle a plus de liberté, des facilités d’emploi, elle est plus estimée, et, en outre, elle rajeunit. Dans un passage-clé du livre, Wexford explique que notre perception de l’âge dépend souvent de son sexe : « L’air de jeunesse d’une femme dépend avant tout de l’absence de rides. Ici, comme partout ailleurs, nous utilisons un double standard. Quel âge as-tu, Mike ? Une quarantaine ? Mets une perruque et un maquillage et tu auras immédiatement l’air d’une vieille loque, mais coupe les cheveux d’une femme de ton âge, habille-la dans un costume d’homme, et elle pourra très facilement passer pour un homme de trente ans. »

    Une vingtaine d’années et de nombreux polars plus tard, Rendell a enrichi considérablement l’étendue des problèmes sociaux présents dans ses livres. Elle discute de questions telles que l’immigration et le chômage, des conflits entre communautés ethniques, du racisme ou des conséquences des changements des mœurs sexuelles. Parallèlement, elle a approfondi le personnage de Sylvia Wexford. Cette dernière dépasse le stade de la plainte, reprend des études et devient assistante sociale, et volontaire dans un centre pour femmes battues. Ses convictions féministes, toujours aussi fortes, sont maintenant fondées sur une observation directe du sort de nombreuses femmes. Grâce à Sylvia, l’inspecteur Wexford devient lui aussi plus sensible à l’oppression des femmes, thème qui se trouve au centre de ses investigations. Dans Semisola, par exemple, il apprend que certaines femmes de ménage étrangères sont maintenues dans les conditions d’un véritable esclavage. Dans Pas de dégâts visibles, il se rend compte que la police est impuissante face au violences domestiques [6].

    Chez Cross, la femme battue plonge dans la dépression après l’assassinat de son mari. L’univers idéalisé de Cross s’accorde mal avec un bénéfice immédiat dû au crime, aussi légitime soit-il. Chez Rendell, la femme battue est libérée par son acte. En tuant son tortionnaire, elle est enfin capable de sortir de son cauchemar. Ce n’est pas un hasard si, dans le monde désenchanté de Kingsmarkham, dans lequel peu d’individus, et encore moins de femmes, atteignent l’équilibre et le bonheur, le chemin vers une vie un peu meilleure doit passer par un crime. Chez Rendell, ce chemin passe rarement par le bonheur conjugal.

    Si, en 1978, une femme devait littéralement changer de corps, ce n’est plus nécessaire en 2000. Les femmes peuvent choisir des styles de vie très divers, et l’on voit apparaître de nombreuses « femmes nouvelles ». Pas d’« hommes nouveaux », en revanche. Dans les polars de Rendell, ils affichent une masculinité tout à fait traditionnelle. Il est peu étonnant que nombre de femmes décrites par Rendell vivent seules. Leur vie n’est pas dépourvue de joie, mais elle est souvent difficile. À l’aube du xxie siècle aussi, il est toujours plus avantageux d’être un homme. Quant au féminisme militant – tel que représenté par Sylvia et ses amies par ailleurs tout à fait conscientes de la faiblesse de leurs contributions –, il est indispensable, puisqu’il permet de sauver certaines femmes du désespoir. Dans le monde adouci d’Amanda Cross, le féminisme, par un tour de passe-passe magique, induit le revirement rapide d’une situation difficile. Dans l’univers réaliste et désabusé de Ruth Rendell, le féminisme ne peut que colmater quelques brèches et parer au plus urgent. On est très loin de la revendication féministe de changer le monde. Pour trouver les traces d’une telle aspiration dans un polar d’inspiration féministe, il faut revenir bien en arrière, au Gaudy Night (La nuit de fête) de Dorothy Sayers, publié en 1935.

    • Une idée subsersive : les femmes peuvent être des humains à part entière

    Sayers n’était nullement une féministe militante, mais les événements de sa vie l’ont amenée à se pencher sur la condition féminine. Mère célibataire, puis mariée avec un homme qui rencontrera des problèmes psychiatriques graves, elle a pu mesurer les obstacles qui se dressent devant une femme intelligente et courageuse mais dépourvue de fortune ou d’une grande beauté. Le thème de l’inégalité entre les sexes apparaît en pointillé dans nombre de ses polars, mais il est au centre d’un seul livre : Gaudy Night [7].

    Ce thème apparaît sous la forme du dilemme de l’héroïne, Harriet Wane, qui ne parvient pas à se décider à épouser Lord Peter Whimsey, pourtant « très bien à tous égards ». Elle craint que même dans les meilleures conditions, le mariage ne détruise la liberté de la femme en ne laissant intacte que celle de l’homme. Ses hésitations se déroulent sur fond de collège féminin à Oxford, microcosme offrant d’excellentes opportunités pour esquisser de nombreux portraits de femmes, enseignantes, étudiantes, anciennes étudiantes, personnel de service, et montrer quelles sont les possibilités offertes aux femmes et l’usage qu’elles en font. La description de la vie du Shrewsbury College est fort réaliste. On y trouve, parmi les enseignantes, des frustrées, des femmes jalouses, des auteures médiocres de travaux bâclés, et même les meilleures ne sont pas exemptes de défauts. Pourtant, le tableau dépeint dans Gaudy Night a un potentiel subversif considérable. Sayers y décrit une communauté – imparfaite, et donc vivante – de femmes qui n’ont aucun besoin des hommes pour définir leur identité humaine et professionnelle. Les hommes existent, certes, mais ils sont cantonnés à la périphérie de leur univers. Ils peuvent être utiles, amusants, vexants, intéressants ou stimulants, mais ils ne sont jamais indispensables. Sayers ne nie nullement l’existence des pulsions sexuelles – et elle décrit la sexualité comme une activité fort agréable – mais elle ajoute qu’on peut la remplacer par d’autres plaisirs du corps et de l’âme. Le meilleur remède aux peines de cœur, son héroïne Harriet Wane l’explique, c’est d’avoir un travail intéressant, une activité physique et suffisamment d’argent pour des loisirs de qualité. La conclusion, qui apparaît en filigrane, est que les rapports de force entre les hommes et les femmes étant ce qu’ils sont, se passer de sexualité est souvent un choix bien sage.

    Des polars récents ont décrit des femmes expertes en judo ou en loi pénale, confrontées aux malheurs d’autres femmes dans les bidonvilles ou dans les beaux quartiers, qui prêchent le féminisme ou le pratiquent en militant pour la cause des femmes. La porté radicale de leur message est pourtant bien moindre que celui véhiculé par Gaudy Night. Sayers y décrit d’une manière convaincante un monde dans lequel les femmes s’épanouissent uniquement grâce à leur intelligence, leur sens de l’humour, leur rigueur morale, leur soif de connaissance, et avant tout l’amitié et le soutien d’autres femmes. Dans un tel univers, les femmes ne se sentent pas obligées de rechercher leur légitimité et la reconnaissance chez des individus du sexe masculin. Elles ne tentent pas de les imiter et n’éprouvent guère le besoin de se définir, positivement ou négativement, par rapport aux hommes. Dorothy Sayers nous laisse ainsi entrevoir la possibilité d’un avenir dépourvu des privilèges liés à une masculinité hégémonique, une perspective qui peut paraître menaçante à beaucoup d’hommes et sans doute aussi à un certain nombre de femmes. •

     

    http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=MOUV&ID_NUMPUBLIE=MOUV_015&ID_ARTICLE=MOUV_015_0048

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    "Quais du polar" à Lyon du 31 mars au 2 avril 2007

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    Pour la deuxième année, le festival Quais du polar fait découvrir au public le 'genre policier' dans toute la diversité de sa culture et de ses formes artistiques. Ce genre évolue en effet dans des disciplines et des formes très variées, que ce soit au cinéma, en littérature, au théâtre ou en art graphique, sous la forme de thrillers, films à suspense, romans noirs, à énigme ou BD... C'est pourquoi Quais du polar multiplie les passerelles entre les disciplines en offrant un panorama riche et varié de ce genre littéraire et cinématographique, et propose des conférences, lectures, projections, enquêtes et jeux... A cette occasion, une cinquantaine d'auteurs français et étrangers seront présents à Lyon, parmi lesquels Donald Westlake, Tonino Benacquista ou Martin Winckler.

     

     

    http://www.evene.fr/culture/agenda/quais-du-polar-8227.php

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    Pourquoi la catégorie "polars"?

    Parce que j'aime ça ...

    Puisque ce blog s'appelle aussi "ce(ux) que j'aime"...

    Parce que j'en ai lus des centaines depuis des années...

    Parce que j'en lis toujours avec le même plaisir...

    Parce que je suis à l'affût de tout ce qui sort...

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    Batya Gour,"Le meurtre du samedi matin"

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    FOLIO POLICIER 416 pages - 7,70 €
     
    Pour les membres du prestigieux Institut de psychanalyse de Jérusalem, ce samedi restera à jamais le jour où l'indicible s'est produit : le docteur Eva Neidorf, analyste de renommée internationale, profondément aimée de ses collègues, a été retrouvée dans son bureau tuée d'une balle dans la tempe. Ses proches sont abasourdis. Il n'y a pas de mobile. Elle connaissait l'assassin et lui a elle-même ouvert la porte. Michaël Ohayon, confronté aux arcanes de ce milieu viscéralement tenu par la déontologie du secret, saura mettre à nu les raisons d'une telle violence. Il saura poser la question cruciale pour cette profession : que faire lorsque l'on détient sur un patient des informations moralement inacceptables  ? Que faire si l'intégrité physique ou psychologique d'autres personnes est gravement en danger ?
     
    LE MEURTRE DU SAMEDI MATIN. Une enquête du commissaire Michaël Ohayon, trad. de l'hébreu par Jacqueline Carnaud et Laurence Sendrowicz, 416 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio policier (No 447) (2007), Gallimard -rom. ISBN 9782070308965.
    Parution : 25-01-2007.

     

    http://www.gallimard.fr/Vient_de_paraitre/accueil.go?cgi=/gallimard-cgi/appliv1/ind_ouvrage?ouvrage=0010056658005634204380000

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    Polar à lire

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    FOLIO POLICIER 400 pages - 7,70 €
     
    À Bergen, un tueur non identifié que l'on croyait mort depuis des décennies continue, en toute discrétion, d'imprimer de sa signature de sang la une des faits divers. Un policier en retraite, qui s'était confié dans la pénombre d'un bar quant à ses doutes sur une vieille affaire, passe sous les roues d'un chauffard… Une femme qui devait être entendue tombe chez elle et se brise la nuque. Toujours des accidents… La mort frappe de plus en plus fort tous ceux qui pourraient se souvenir… Varg Veum ne croit pas au hasard et encore moins à la fatalité. Il a du temps. Personne ne l'attend chez lui. Il veut juste savoir et ne lâchera pas le morceau.
     

    LA NUIT, TOUS LES LOUPS SONT GRIS. Une enquête de Varg Veum, le privé norvégien, trad. du norvégien par Alexis Fouillet, 400 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio policier (No 448) (2007), Gallimard -rom. ISBN 9782070309825.
    Parution : 18-01-2007.

    http://www.gallimard.fr/Vient_de_paraitre/accueil.go?cgi=/gallimard-cgi/appliv1/ind_ouvrage?ouvrage=0010056848005651304380000

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    Minette Walters:"Le sang du renard"(Pocket 2005)

    medium_renard.jpgAilsa et James ont tout réussi dans leur vie… sauf leurs deux enfants. Leur fils ne pense qu'à une chose - dépenser l'argent de ses parents - tandis que leur fille a plongé depuis bien longtemps dans l'alcoolisme. Aussi, lorsque Ailsa meurt brutalement, dans des circonstances étranges, tout éclate. Rancune, appât du gain, haine… Tels des vautours, les proches de James vont s'abattre sur lui, dans l'espoir de l'achever et de toucher enfin la mise.

     

    Minette Walters vit dans le Hampshire. Mariée et mère de deux enfants, elle est considérée comme la première rivale d'Elizabeth George. A la différence de cette dernière, ses romans mettent en scène à chaque livre de nouveaux personnages. Son style est moins percutant mais les intrigues, bien ficelées, installent un véritable suspense.

    http://www.polarfeminin.com/

    LIVRE EN VENTE SUR AMAZON(lien à gauche sur ce blog)

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    Peter Straub,"Julia", Fleuve noir.

    medium_julia.gif  En 1974, le fantôme excite l'intérêt de Straub. Influencé par la nouvelle d'Henry James Le Tour d’écrou, il écrit Julia, une histoire de fantôme et de maison hantée. Straub, bien qu'Américain, vivait alors en Grande-Bretagne (le «pays des fantômes»!) avec sa femme anglaise (il vécut dix ans en Angleterre et en Irlande), et Julia peut être considéré comme une histoire de fantômes à l'anglaise, sur le plan de la conception comme sur celui de l'exécution. Straub s'intéresse à l'idée du revenant dans la perspective d'un esprit vengeur issu d'un passé qui se refuse à mourir. Si les trois romans de fantômes de Straub se montrent efficaces (Julia,1975; Tu as beaucoup changé, Allison, 1990; Ghost Story, 1979), c'est qu'ils traitent en effet surtout du passé, de la force des souvenirs, et que dans leurs intrigues, le passé continue d'exercer sur le présent une influence maléfique.

     

    Julia passe pour un roman de fantômes. Mais en considérant les divers personnages, le lecteur se rend compte que presque tous pensent avoir subi des hallucinations, vécu des illusions et avoir été victimes de leurs sens. Ce sont des gens prédisposés à accepter le surnaturel, ou dans un état tel qu'ils ne réagissent plus rationnellement, et le roman peut se décoder au premier degré, en n'y voyant que fantasmes et coïncidences.
    - Julia, jeune femme dans la trentaine qui donne son nom au roman, est désaxée depuis qu'elle a subi un grand choc émotif à la mort de sa fille Kate, qui s'est étouffée avec un morceau de viande. Julia ou son mari l'ont tuée accidentellement en tentant de pratiquer sur elle une trachéotomie avec un couteau de cuisine.. Julia se sent impardonnablement coupable. Elle a vécu quelque temps dans une maison de repos, et vient juste d'en sortir. Elle vient, sur un coup de tête, d'acheter une nouvelle maison qu'elle habite seule, rompant brutalement avec son mari, Magnus. Elle vit par impulsions, sur ses nerfs. Peu à peu, elle se met à boire, se nourrit mal.
    - Magnus, la cinquantaine, apparemment plus solide, devient un ivrogne. Depuis le départ de Julia, il a perdu ses repères et traîne plutôt qu'il ne vit.
    - Sa soeur Lily, célibataire, croit au spiritisme par désoeuvrement, et a présenté à Julia un adepte qui a créé un problème en demandant à Julia de quitter au plus vite sa maison, sans donner d'explication.
    Si bien que l'histoire aurait pu être montée de toutes pièces par des esprits quelque peu égarés, voyant - croyant voir - des fantômes et percevoir leurs manifestations. De nombreuses circonstances montrent par exemple Julia se demandant si elle n'a pas, dans l'inconscience, fait un acte qu'elle impute à l'esprit qui hante sa maison.
    L'autre explication des fantômes se trouverait dans des interprétations parapsychiques. Les fantômes s'empareraient des mobiles psychologiques et, dans certains cas, de la totalité des esprits des hommes qui les imaginent. Un transfert psychologique s'opérerait de leurs peurs (parentales, maritales) sur les lieux (la maison par exemple, ou le jardin). Les fantômes deviendraient ainsi inhumains quand les hommes ont dépassé les limites d'une vie humaine normale (inadaptation, folie, crime). Le jour de son arrivée, Julia a aperçu dans la rue, allant dans un parc près de chez elle, une petite fille blonde, qui ressemble à Kate. Elle l'a vue enterrer devant d'autres gamins quelque chose dans le sable. Une fois la fillette partie, Julia creuse un trou et découvre un couteau, puis le cadavre mutilé d'une tortue. Ce spectacle inattendu lui fait penser à la trachéotomie dont est morte Kate, et elle pense qu'elle est peut-être son fantôme. Une vague idée, sans plus. Julie la revoit, manifestant une atrocité inattendue : la fillette glisse un oiseau vivant dans les rayons de sa bicyclette et fait tourner la roue, coupant la tête de l'oiseau. Elle ressemble à Kate, mais Julia remarque qu'elle porte des vêtements désuets et qu'elle a une incisive cassée. Il s'agit en fait d'Olivia, fillette blonde qui ressemble étrangement à Kate. Elle a vécu jadis dans la nouvelle maison de Julia et a participé naguère à la mort d'un petit garçon. La mère du petit garçon, qu'a tué jadis Olivia, lui révèle que son fils, étranger, était le souffre-douleur du groupe d'enfants, et qu'ils ont participé au meurtre sous la direction d'Olivia. Curieusement, devenus adultes, tous ont échoué dans leur vie et la plupart sont morts. D'un survivant, Julia apprend des détails. Olivia a forcé les enfants du groupe à tuer des animaux et à boire leur sang; à voler, et même à allumer un incendie. Elle leur apprend tout sur le sexe, se fait lécher par une enfant. Elle a étouffé son camarade de jeu avec un oreiller sur lequel elle s'est assise, puis lui a fait mordre le sexe par un autre gamin. Kate sait maintenant que la petite fille fantôme est une Olivia maléfique, et non sa fille. En rentrant chez elle, elle lit sur son miroir les mots : "Tu sais", écrits au savon. La nuit, des petites mains la caressent sur le corps et le sexe, l'amenant au plaisir contre sa volonté. Le lendemain, elle voit pour la première fois la petite fille dans sa maison, dans le miroir, souriante et tenant à la main un corps d'oiseau réduit en pulpe. La voyante et les informateurs de Julia meurent, assassinés. Enfin, à la bibliothèque, Julia comprend : sur un ancien journal, elle voit une photo d'une réception de la mère d'Olivia, tenue par les épaules par un Magnus de 21 ans : Magnus est le père d'Olivia, comme le père de Julia, et toutes deux sont "mortes poignardées. (...) Soeurs, elles étaient soeurs. Femmes du même homme. Mère de filles assassinées."

    Le deuxième motif du roman est celui de la maison hantée. King a développé l'idée dans Pages Noires que l'idée que la maison hantée pouvait "devenir le symbole d'un péché non expié", et qui est devenue le pivot de son roman Shining, écrit avant que paraisse Julia.

     

    Impulsivement, Julia a acheté, pour s'y sentir protégée, une maison en briques solide, de style néo-georgien, qui correspond à son besoin de calme et de solitude (plus tard, Julia comprend le sens de son achat : "Quelque chose dans cette maison exigeait que je l'achète."). Les premiers incidents paraissent bénins : Julia perd deux fois sa clé, à sa première sortie elle oublie la troisième dans la maison et ne peut entrer qu'avec difficulté chez elle par une petite ouverture dans laquelle elle se blesse. Il lui semble que la maison "oppressante", la "repousse". Quoiqu'elle fasse, la température de la maison est brûlante, et toutes ses tentatives pour couper les convecteurs et le chauffage général s'avèrent inopérantes. Quelque temps après, tout s'est réenclenché. Il lui semble qu'il y a une présence, elle entend des frôlements, des froissements comme si quelqu'un se déplaçait dans l'obscurité, un vase de fleurs est brisé la nuit, le jardin l’inquiète. Un poltergeist? Julia, désemparée, est passée en peu de jours de la quiétude à la peur : "La maison constituait une structure immense et puissante, qui l'excluait, la repoussait, résistait à son intrusion, se refusait à lui céder. Julia ressentait durement cette intransigeance. Elle avait plus que jamais l'impression de vivre dans une immense désillusion, dans l'erreur que sa vie était devenue. Et dehors, des forces puissantes attendaient leur moment : un homme et une enfant." Le temps passe et les bruits se précisent, les voix d'une femme et d'une petite fille, des mesures de musique.

    La maison a été habitée pendant vingt ans par une Américaine, comme Julia, une play-girl mondaine séparée de son époux, vivant des largesses de ses amants. Elle a eu une fille, Olivia, qui fut inquiétée par la police pour avoir, à la tête de jeunes enfants, molesté un camarade de quatre ans , retrouvé mort. La mère tua sa fille un an plus tard, selon la rumeur parce qu'elle la pensait folle, connaissant ses cruautés, dont elle aurait été la confidente. Condamnée à la prison, elle fut enfermée dans un hôpital psychiatrique, comme Julia l'a été un moment dans une maison de santé. Quand sa mère l'a tuée, Olivia avait l'âge de Kate, la fille de Julia, et sa chevelure était blonde. Julia est allée voir la mère à l'hôpital psychiatrique. Cette dernière lui tient des propos incohérents et insultants, lui dit en passant qu'Olivia était mauvaise, maléfique : "Le Mal, ce n'est pas comme les gens ordinaires. On ne peut pas s'en débarrasser. Il se venge. Ce qu'il veut, c'est la vengeance, et il l'obtient."

    Julia est une fille complexe, incapable de dominer les divers aspects de sa personnalité, divisée, masochiste, était une proie offerte. Son père, son époux, en dernier lieu Magnus ne pouvaient que profiter de la situation. Ses dernières pensées sont elles-mêmes ambiguës. Elle meurt dans le désordre matériel (bruits, petites explosions dans la maison) et dans la confusion mentale: "Je voulais te libérer, pensa Julia, c'est à dire que je désirais te donner la paix. Mais tu ne veux pas la paix. Tu veux tout diriger. Tu nous hais tous et tu hais cette maison." En fait, ce sont ses sentiments qu'elle transpose : je voulais me libérer, trouver la paix. mais les autres veulent tout diriger. Je les hais tous, comme je hais cette maison. La vie de Julia aura été un échec total, la victime rêvée des prédateurs.

    Car Julia morte, son immense fortune revient à Magnus, et indirectement à sa soeur Lily. On se rend compte alors que, depuis le début de l'histoire, ils n'ont agi en fait à son égard que pour conserver l'argent de Julia, qu'ils l'auraient perdu si elle avait divorcé. Dans sa naïveté et son insouciance de l'argent, Julia ne s'est même pas rendu compte qu'elle n'avait plus rien à elle et que Magnus s'était emparé de tous ses biens. Mais ils ne jouiront certainement pas longtemps de cette richesse qui perpétue la tradition de la famille de l'accumulation des fortunes par la spoliation d'autrui. Le récit se termine par une scène où Lily voit de sa fenêtre une petite fille devant sa maison, aux cheveux d'or et aux yeux bleus dénués d'expression. La vengeance n'est pas terminée, et Magnus a tout à craindre maintenant, après sa victoire facile. D'autres prédateurs, d'un monde-autre ceux-là, veillent dans l'ombre. Julia, qui, comme sa fille, n'a pas eu la tombe qu'elle souhaitait, dans le cimetière qu'elle avait choisi, attend peut-être son heure.

    King a noté que, dans le nouveau gothique américain, l'apport plus particulier de Straub est l'examen des "effets sur le présent d'un passé maléfique". Le conditionnement par l'enfance malheureuse, qu'on retrouvera dans presque toutes les oeuvres de Straub, est mis en évidence dès ce roman. "«Aucun homme intelligent ne croit au passé» remarque un personnage secondaire auquel Julia demande des informations, qui ajoute cette formule tout à fait adaptée à son cas : "«Ceux qui croient au passé sont condamnés à y vivre.»"
    Julia doit ainsi affronter son passé récent, qu'elle ne peut oublier, qui se trouve relié à un passé plus lointain, dont les similitudes ont été fréquemment soulignées (filles du même âge, de la même apparence, tuées volontairement ou involontairement par leurs mères, filles du même père à plus de vingt ans de distance). Mais il y a aussi le passé plus lointain : elle a été élevée par un père prolixe, importun et autoritaire, dont la fortune vient d'ancêtres qui l'ont amassée dans la souffrance des autres : l'arrière grand-père impitoyable baron du rail, avec "du sang jusqu'aux coudes"; le grand-père en faisant autant, abattant des forêts, polluant des fleuves, ruinant des sociétés, tuant des hommes. L'argent de Julia porte une tache indélébile et, symboliquement, l'eau qui sort de ses robinets a la couleur l'odeur métallique du sang et des pièces, d'un tas de "vieilles pièces de monnaie graisseuses.". Magnus et sa soeur ont été élevés par des parents d'une froideur "monumentale", uniquement préoccupés d'eux-mêmes, totalement indifférents aux opinions et à la sensibilité d'autrui. Ils ont laissé leurs enfants à la garde d'une succession de précepteurs, abandonnés dans un silence quasi total en dehors de l'enseignement donné. L'attachement à sa soeur est dû au fait qu'ils ont toujours vécu complices, jouant ensemble constamment, possédant un langage particulier. Dès le début de sa carrière, Magnus été impitoyable dans sa vie professionnelle. Et pour le malheur de Julia, il représente son père... King note que, outre l'influence reconnue de Le tour d'écrou, c'est aussi Shirley Jackson, avec Maison hantée qui a convaincu Peter Straub qu'une "histoire d'horreur est d'autant plus réussie qu'elle est sobre, retenue et ambiguë); [qu'] elle ne hausse jamais le ton." Outre ce style réservé, Straub a gardé de James l'habileté de garder ouvertes aussi bien la voie de l'emprise de la maison sur l'esprit de Julia que celle, psychanalytique, du masochisme et des tendances autodestructrices de Julia. James avait signalé qu'en fait sa nouvelle était "une incursion dans le chaos tout en restant seulement une anecdote." On se rend compte que la complexité du comportement de Julia, dont la diversité a été décrite plus haut, n'est que la mise en oeuvre d'un chaos, semblable, aux dimensions d'un roman. Ce "chaos" correspond à la fois à ses sentiments, ses impulsions et ses velléités contradictoires, et aux désordres plus matériels qui gagnent peu à peu la maison jusqu'au pandémonium final. La sensibilité intense de Julia, son émotivité exacerbée renforcent "l'illusion narrative et l'ensorcellement de l'épouvante. Car, en fait, c'est justement le mécanisme impitoyable du désarroi qui exige le choix arbitraire d'une certitude, et c'est le besoin de certitude qui créée des preuves là où il n'y a que des indices, bref, qui construit la progression implacable de l'anecdote. (...) Le lecteur a ainsi été pris des deux côtés, par la synthèse du "cas psychique" et de la chère «vieille terreur sacrée»". La multiplication des points de vue, la conquête progressive des informations oblige le lecteur à une construction mentale permanente. Les réticences, la suggestion, l'équivoque créent une atmosphère oppressante réussie chez les personnages comme chez le lecteur. L'étape suivante sera, pour Straub, de complexifier son intrigue : il y réussira avec Ghost Story.

    Roland Ernould août 2001

     

    medium_peter_straub.gifL'auteur : Peter Straub est né à Milwaukee, dans le Wisconsin, le 2 mars 1943. Il est l'aîné d'une fratrie de 3 garçons. Son père était commerçant, sa mère infirmière. Le père voulait qu'il devienne un athlète, la mère un docteur ou un ministre Luthérien. Lui voulait était lire et apprendre, et il leur fit espérer un métier de professeur. Études à l'université de Wisconsin, Colombia University, et au University College de Dublin. A résidé pendant trois ans en Irlande, à Dublin (1969-1972) et sept ans en Angleterre à Londres (1972-1979), puis aux USA dans le Connecticut, où sa femme Susan était née. Il habite aujourd'hui New York (3 enfants). Il a écrit à ce jour 14 romans, 2 recueils de nouvelles, des nouvelles et de la poésie. Nombreuses récompenses littéraires. En particulier, Mr. X a reçu le Bram Stoker Award. Le plus littéraire des romanciers de terreur attire à la fois les amateurs du fantastique et les inconditionnels du polar. Le nouveau Talisman 2, écrit en collaboration avec Stephen King, Black House, est sorti en Octobre 2001.

    voir sa bibliographie américaine, et les traductions françaises

    http://rernould.club.fr/zzStraub/xStraJul.html

    Les pages Stephen King sont animés par le même auteur:http://rernould.club.fr/King.html

    Le site de cet auteur,

    Roland Ernould

    s'intitule:

    Littératures de l'imaginaire:

    http://rernould.club.fr/index.html(ce dernier lien ne fonctionne pas mais vous pouvez faire "copier-coller"....)

  • Catégories : Les polars

    Frances Fyfield, "Sommeil de mort"(Pour Ambroise)

    medium_sommeil_de_mort.jpg

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    Helen est intriguée par la mort prématurée d'une femme pendant son sommeil. Alors que l'ensemble de la population de ce quartier de l'Est londonien apporte son soutien au pharmacien veuf, Helen lance une enquête qui révèle une dose de chloroforme dans le sang de la victime. Aidée par Geoffrey, Helen va révéler au grand jour les secrets du pharmacien.

    Helen West est procureur de la Couronne à Londres, en charge des crimes sexuels. Efficace, intelligente et intuitive, elle n'en conserve pas moins une certaine distance avec ses dossiers, préférant de ne pas trop s'investir auprès des victimes. Âgée d'une quarantaine d'années, elle entretient une relation amicale et légèrement passionnée avec sa secrétaire Rose, entière et excessive. Relation en tous les cas nettement plus passionnée que celle qu'elle entretient avec son "fiancé", Geoffrey Bailey, policier de son état, qui rend bien d'ailleurs à sa dulcinée une certaine froideur.

    Frances Fyfield a une conception très personnelle du roman policier, plus proche de la broderie anglaise que du thriller. Elle jette sur le tapis une myriade de personnages, sans rapports apparents entre eux. Pas pressée de nous dévoiler ce qu'elle a en tête, l'intrigue tarde à venir, réduisant le lecteur à la victime consentante d'un colin-maillard brumeux. Entre temps, Frances Fyfield développe avec un certain brio toute une galerie de personnages, dévoilant avec ingéniosité et psychologie le fond des cœur, pas toujours très joli à regarder. C'est sans doute là, dans cette galerie de personnages qui "sonnent" vrai qu'il faut chercher la raison de son succès. L'écriture n'est pas tendre, piquée de méchants coups de dents, à l'image de ses personnages, toujours sur leur garde, consumés de frustration.

    Parallèlement à Helen West, Frances Fyfield développe un autre personnage, Sarah Fortune, avocate. La trame de fond et la construction sont identiques, le personnage de Sarah, belle avocate glacée, dans la droite ligne de son aînée.

    (http://www.polarfeminin.com)

  • Catégories : Les polars

    Arthur Upfield, "Du crime au bourreau"

    medium_du_crime_au_bourreau.gifLes meurtres se succèdent à Daybreak, petit bourg d'Australie-Occidentale. Mais comment trouver le coupable sans mobile apprent ni preuve convaincante ? La police, bredouille, appelle l'inspecteur Napoléon Bonaparte à la rescousse. Homme à tout faire, barman, dresseur de chevaux Bony n'aura jamais autant travaillé. Mais il n'oubliera pas son enquête et, patiemment, comme un chat guette une souris, il attendra que l'assassin commette une erreur.
    À l'opposé des détectives occidentaux, qui trouvent leurs marques au cœur des villes, Napoléon Bonaparte, lui, déchiffre ce qu'il appelle le "Livre de la brousse".

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  • Catégories : Balades, Les polars

    "Nuits noires" de Brigitte Aubert

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    Paris en juillet. De jeunes étudiantes disparaissent. L'homme a tellement besoin d'amour. Au point de les garder avec lui pour toujours, cachées sous son parquet. Alors il observe les efforts désespérés des enquêteurs. Et la douceur de l'été se fait aussi froide que la mort... Suivent onze balades à Psychopathe-land. Au menu petits meurtres et autres plaisirs parfois majuscules, fractures de personnalités, situations en chausse-trappe, masques de chair... Tout le parcours est miné !

     

     

     

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  • Catégories : Les polars

    Dominique Sylvain, "Travestis"

    medium_travestis.jpg

    (http://www.amazon.fr)

    Machiavélique! Nul ne dit la vérité. Pas même Louise Morvan qui va enfin élucider le mystère de la mort de son oncle, Julian Eden, dont elle a hérité l'agence alors qu'elle n'était qu'adolescente. Le commissaire Clémenti lui offre sa première piste : il a retrouvé le flic, chargé d'enquêter en 1979 sur le meurtre du détective, qui s'était vu retirer le dossier et muter en province...
    J'ai lu, 286 p

    (http://www.motsbouche.com/catalog/item.idx/13382.htm)

    Journaliste puis responsable de la communication interne et du mécénat chez Usinor, Dominique Sylvain vit pendant une douzaine d'années à Paris. Avec sa famille, elle décide de s'envoler pour l'Asie - où elle restera six ans. Elle séjourne pendant trois ans à Tokyo, métropole qui lui inspire son premier roman, 'Baka', en 1995. C'est à Singapour qu'elle écrit 'Soeurs de sang' et 'Travestis', en 1997 et 1998. Elle est aujourd'hui retournée vivre à Tokyo, où elle se consacre pleinement à sa passion : l'écriture. Passion payante, puisqu'elle remporte en 2005 le Grand Prix des lectrices de 'Elle' avec son roman 'Passage du désir'. 'Manta Corridor' paraît en 2006.

    (http://www.evene.fr/celebre/biographie/dominique-sylvain-18164.php)

  • Catégories : Les polars

    Marianne Wesson, "La morte n'en saura rien"

    medium_9782234052529.gif

    (http://www.fnac.com/Shelf/article.asp?PRID=861396)

    Une avocate est rejointe lors d'une émission de radio par une jeune fille qui croit que son père a abusé d'elle dans son enfance. Enquête difficile où la jeune fille, qui n'avait que des souvenirs épars, est assassinée. Les milieux d'extrême-droite américains sont impliqués dans l'histoire et le père est en campagne électorale pour le Sénat, appuyé en cela par sa fille aînée.

    Micheline Quirion , micqui@globetrotter.net

    (http://www.guidelecture.com/critiquet.asp?titre=morte%20n'en%20saura%20rien%20(La))

  • Catégories : Les polars

    Sandra Scoppettone, "Je te quitterai toujours"

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    Lauren est sous le choc : sa meilleure amie, Megan, vient d'être assassinée. Elle se charge spontanément de l'enquête mais bientôt, c'est la personnalité cachée de son amie qu'elle découvre. Soutenue par Kip, sa compagne, Lauren va lever un à un les voiles du passé de celle qui "l'a quittée pour toujours".

    Lauren Laurano est détective privée et lesbienne. Elle vit à New York et mène ses enquêtes avec rigueur et sensibilité. Mais ce sont souvent des enquêtes très proches d'elle, qui la ramènent à un passé douloureux. D'où les titres un peu surprenants pour des polars, style "Ma douce inconnue …"( ?)
    Passée cette bizarrerie, on tombe sur un personnage de privée qui tient la route. Lauren est vive, bien dans sa peau, ne manque pas d'humour et l'écriture, plutôt fluide, accroche rarement.

    Sandra Scoppettone vit à Long Island. Elle a écrit de nombreux romans sous le pseudonyme de Jeack Early mais c'est son personnage de Lauren Laurano qui lui a amenée la consécration.

    (http://www.polarfeminin.com)

  • Catégories : Les polars

    Patricia Cornwell

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    Kay Scarpetta est médecin légiste en Virginie. La quarantaine, divorcée, toujours amoureuse au mauvais moment d'un homme forcément inaccessible, Kay n'a pas d'enfant mais couve sa nièce, Lucy, comme une mère-poule.

    Kay Scarpetta est aujourd'hui un monument de la littérature policière féminine. Il faut lui reconnaître sa place incontestable de pionnière : première femme héroïne de romans policiers de l'ère moderne, Scarpetta nous invite à partager au fil des tomes les secrets traumatisants de sa table d'autopsie. Avec un sens terrible du détail, mais toujours avec humanité. Flanquée de Pete Marino, le mâle comme on en fait plus : buveur de bière, fumeur, mal fagoté et macho, qu'on adore autant que Kay pour son côté bourru.

     

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