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littérature - Page 16

  • Catégories : Des évènements, La littérature

    5ème édition du "Festival de la correspondance" à Vitré

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    C'est au Château des Rochers, près de Vitré, que Mme de Sévigné, célèbre épistolière, écrivit la plupart de ses lettres adressées à sa fille Madame de Grignan .

     

     

     

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    Le Festival de la correspondance "Les Sévignales" propose des manifestations tout au long de l'année, à Vitré, qui constitueront autant d'occasions de promouvoir l’épistolaire, de favoriser la rencontre entre auteurs et lecteurs, de créer et pérenniser des liens entre les publics, les institutions culturelles de la ville et les partenaires du festival. Voici un bref historique ce festival

    Mars - Avril 2006 

    Lancement des 3 concours (Adulte/Scolaires/Jeunesse)

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    1996 : Célébration à Vitré du Tricentenaire de la mort de Madame de Sévigné (1626-1696), épistolière renommée qui écrivit un grand nombre de ses lettres au Château des Rochers-Sévigné.

    13-14-15 octobre 2006 

    Lancement officiel de la manifestation (spécial Lire en fête)

     

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    2004-2005 : 4è édition avec création du Festival de la correspondance « Les Sévignales » : maintien du concours littéraire et programmation d’événements tout au long de l’édition (2004, 2005) afin d’impliquer la population locale.

     

    30 juin 2007 

    Date limite d'envoi pour les manuscrits 

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    2006-2007 : 5è édition du festival « Les Sévignales », organisé sur quatre saisons.

    21, 22 et 23 septembre  2007

    Remise des prix et Clôture du festival  « Fête de la correspondance »

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  • Catégories : Baudelaire Charles

    Baudelaire et les femmes 2 :Jeanne Duval

    a3622f0821183ead4b71b971c6dafca5.jpgDans mon mémoire de maîtrise,

     

    « Le paysage dans les œuvres poétiques de Baudelaire et Nerval »

     

    (en vente sur Lulu : http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=617288)

     

    Dans la 1 ere partie consacrée à la poétique du paysage,

     

    1.      La construction typologique du paysage

     

           1.2. Des paysages littérairement et culturellement construits

     

                  1.2.3. Poétique de l’air

     

     

     

     

    1.2.3.5.   Les parfums    

     

     

        Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
        Retiens les griffes de ta patte,
        Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux
        Mêlés de métal et d'agate.
       
        Lorsque mes doigts caressent à loisir
        Ta tête et ton dos élastique,
        Et que ma main s'enivre du plaisir
        De palper ton corps électrique,
       
         Je vois ma femme en esprit ; son regard,
        Comme le tien, aimable bête,
        Profond et froid, coupe et fend comme un dard, (« Les Fleurs du Mal », « Le chat », v.1-11)

     

    Le parfum du « Chat »/Jeanne Duval n’est plus seulement magique mais dangereux :

     

      Et des pieds jusques à la tête,
    Un air subtil, un dangereux parfum
     Nagent autour de son corps brun.(Idem, vers 12-14)
     


    Source  de l’image :http://baudelaire.litteratura.com/?rub=vie&srub=per&id=5

                                                                                                

  • Catégories : Des évènements, Des lieux, La littérature

    Festival de Grignan de la correspondance du 4 au 8 juillet 2007

    par Alain Rubens
    Lire, juillet 2007

    Une fois de plus, le Festival de la correspondance de Grignan va se parer de ses plus belles plumes. Inauguré en 1996, pour la célébration du tricentenaire de la mort de la marquise de Sévigné (1626-1696) qui s'y était installée en y déployant son génie épistolaire, le village de Grignan, dans la Drôme, est aujourd'hui associé à la correspondance de plaisir. Sur le parvis du château et dans les jardins ombragés, dans les ruelles et sur les places, on déambule parmi les conteurs, les calligraphes et les lecteurs de lettres: ils disent le charme d'un genre - la correspondance - qui résiste aux coups de boutoir des fulgurants SMS et de l'écriture phonétique, et refuse d'envoyer aux antiquailles tout soupçon de syntaxe et d'orthographe. Près du château, des «chambres d'écriture» seront mises à la disposition du passant. A un coin de rue, au détour d'une humeur, rien ne manquera pour inciter à écrire: bureau, plumes et beau papier. Chaque année, un thème est retenu. Du 4 au 8 juillet 2007, c'est le «cinéma» qui titillera l'imagination épistolière. L'année dernière, Claude Allègre avait donné le coup d'envoi à un festival consacré à la «science», sujet austère qui n'a nullement désarmé les «mains à plume».

    Renseignements au 04 75 46 55 83 et sur Internet: www.festivalcorrespondance-grignan.com

    Source:http://www.lire.fr/enquete.asp/idC=51466/idR=200
  • Catégories : Baudelaire Charles, La littérature, Le XIX e siècle, Nerval Gérard de

    Sainte-Beuve (Pour Elisabeth)

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    A la suite de ses notes :

     
    http://boulevarddesresistants.hautetfort.com/archive/2007/07/04/charles-sainte-beuve-1804-1869-premier-amour.html

     

     

    http://depoesiesenpoesies.hautetfort.com/archive/2007/06/01/la-rime.html#comments

    http://boulevarddesresistants.hautetfort.com/archive/2007/07/04/sainte-beuve-la-rime.html

     

    http://depoesiesenpoesies.hautetfort.com/archive/2007/06/02/premier-amour.html#comments
     

    Le poème « Premier amour » est tiré des « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme »(1829).

    La citation sur la rime est aussi tiré de ce livre. Il publiera d’autres recueils mais sans succès.

    Je parle de Sainte-Beuve dans mon mémoire de maîtrise (« Le paysage dans les œuvres poétiques de Baudelaire et Nerval » en vente chez Lulu :

    http://stores.lulu.com/store.php?fAcctID=617288) à propos de « Baudelaire et l’illuminisme » (2 e partie,  Le paysage entre visible et invisible ; 1.Les correspondances ; 1.1. Les références occultistes ; 1.1.2.L’illuminisme, 1.1.2.2.).

     

    En ce qui concerne, l’illuminisme, Baudelaire a été influencé (entre autres) par ses admirations littéraires, Sainte –Beuve (et Balzac) dont les œuvres sont imprégnées de martinisme(mon mémoire, 1.1.2.3.4. Saint-Martin). Sainte-Beuve connaît l’illuminisme et le martinisme par Lamennais(mon mémoire toujours à propos de Saint-Martin)  qui le reçut dans sa propriété de la Chesnaie, près de Dinan.

     

    C’est dans « Volupté », son unique roman(1834) que l’on sent l’influence de Lamennais. C’est « l’histoire d’une âme, de ses inquiétudes et de ses doutes, un adieu à la jeunesse et au romantisme. Le héros du roman, Amaury, se fait prêtre : Sainte-Beuve, lui aussi, choisit une voie austère où il pourra donner sa mesure : la critique littéraire. (Lagarde et Michard, 19 e siècle) »  

    Sainte-Beuve a notamment critiqué l’art de Baudelaire (qui l’admirait tant)  dans  un article du   Constitutionnel du 22 janvier 1862.

     M. Baudelaire a trouvé moyen de se bâtir, à l'extrémité d'une langue de terre réputée inhabitable et par delà les confins du romantisme connu un kiosque bizarre, fort orné, fort tourmenté, mais coquet et mystérieux, où on lit de l'Edgar Poe, où l'on récite des sonnets exquis, où l'on s'enivre avec le haschich pour en raisonner après, où l'on prend de l'opium et mille drogues abominables dans des tasses d'une porcelaine achevée. Ce singulier kiosque, fait en marqueterie, d'une originalité concertée et composite, qui, depuis quelque temps, attire les regards depuis l'extrême pointe du Kamtchatka littéraire romantique, j'appelle cela la folie Baudelaire.   Sur Sainte-Beuve : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Augustin_Sainte-Beuve

     

      Sur Sainte-Beuve et Baudelaire, lire l’extrait du « Contre Sainte-Beuve » de Proust :http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Charles-Pierre_Baudelaire--Sainte-Beuve_et_Baudelaire_par_Marcel_Proust

     

      Sur le « Contre Sainte-Beuve » de Proust : http://fr.wikipedia.org/wiki/Contre_Sainte-Beuve   Sur l’illuminisme et le martinisme : cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/Illuminisme

     

      Sur Lamennais, cf. http://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9licit%C3%A9_Robert_de_Lamennais

     

        Si Baudelaire a admiré Sainte-Beuve, a été influencé par lui, ce dernier lui a bien mal rendu, on l’a vu. Proust dans son « Contre Sainte-Beuve », constate que le critique littéraire a encensé des artistes maintenant tombés dans l’oubli alors qu’il a méprisé Baudelaire et…. Nerval.     Sur Nerval dans le « Contre Sainte-Beuve » de Proust : http://agora.qc.ca/reftext.nsf/Documents/Gerard_de_Nerval--Gerard_de_Nerval_par_Marcel_Proust

     

      Source de l’image : http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Augustin_Sainte-Beuve      
  • Catégories : Baudelaire Charles, Des évènements

    Baudelaire en solitaire dans le cercle des poètes disparus

    VALÉRIE DUPONCHELLE.  Publié le 29 juin 2007

    Actualisé le 29 juin 2007 : 10h36

    Sotheby's France a vendu sans fièvre, mercredi soir, la collection Pierre Leroy.   LES CAMÉRAS de Public Sénat et de La Chaîne Parlementaire campaient en intruses au fond de la salle des ventes de Sotheby's, là où les bibliophiles, race discrète, aiment suivre les enchères d'un oeil faussement négligent. Dès 19 heures mercredi soir, la Galerie Charpentier a vu débarquer une foule de curieux alléchés par cette vente médiatique qui célébrait Baudelaire et les 150 ans de la publication de ses Fleurs du mal au lourd parfum littéraire (Le Figaro Patrimoine du 1er juin). Même Le Canard enchaîné avait parlé à sa façon moqueuse de la Collection Pierre Leroy, fustigeant au passage ce pilier du groupe Lagardère.

      « Un million de touristes, mais pas un million d'acheteurs ! », résumait férocement un expert parisien, « assez satisfait que le monde des livres reste fermé aux stricts amateurs, c'est-à-dire aux antipodes de l'art contemporain et de son marché de masse ». Quelques acteurs seulement ont donc mené la danse mercredi soir chez Sotheby's qui doit beaucoup de ses résultats aux libraires de toujours et à leurs clients fidèles (presque 5 Meur, au-delà de l'estimation, soit 90,9 % des 100 lots vendus et 98,7 % en valeur).

      Réunion d'une vieille famille

      Las, dirait le poëte du XIXe, l'ambiance n'était pas si festive dans cette vente qui ressemblait plus à la réunion d'une vieille famille, où les sentiments se disent à mots couverts, qu'au triomphe escompté pour ce grand anniversaire de la littérature française. Déployant sans compter son énergie, le libraire parisien Jean-Claude Vrain - qui faisait là office d'expert indépendant pour Sotheby's - a défendu chaque lot bec et ongles. Expliquant pourquoi la lettre du jeune Charles à son demi-frère Alphonse était précieuse (10 000 eur au marteau, à la table d'experts). Soulignant que le portrait du poète enfant par Legros d'après Courbet était le seul peint de son vivant (40 000 eur marteau, à la table d'experts). Emportant à 168 000 eur contre un téléphone Le Vin des Chiffonniers, poème des Fleurs du mal offert par Baudelaire à Honoré Daumier, pour « un des huit collectionneurs - six Français, un Anglais et un Suisse - qui lui avaient laissé des ordres ». Le succès de la vente Leroy doit beaucoup à la cascade d'enchères faites par son intermédiaire sous le même panneau 105.

      Seuls les grands lots ont suscité une fièvre palpable, digne des ventes Jacques Guérin ou Jaime Ortiz-Patiño, le reste tombant vite dans l'atonie qui menace le cercle des poètes disparus (35 000 eur marteau pour les 18 lettres de Baudelaire à l'éditeur Eugène Crepet, toujours à la table d'experts). Ainsi, Les Fleurs du mal avec envoi du poète « en témoignage d'une éternelle admiration » à Delacroix, déjà vedette de la vente Guérin en 1985 à Drouot et de la vente Ortiz-Patiño en 1998 chez Sotheby's à Londres (140 000 £). « Un grand livre doit faire cher. Cet exemplaire aurait pu faire plus, doubler son estimation haute et dépasser les 700 000 eur», estimait hier un expert indépendant de la vente.

      Dans ce petit comité d'amateurs que sont les bibliophiles, le marketing semble une arme vaine, comme le maquillage de studio pour une jeune fille. Seule compte la valeur soupesée d'un livre, d'un texte, d'un envoi, d'un exemplaire. Gardant tout son calme, un grand collectionneur genevois a emporté discrètement la lettre émouvante de Caroline Aupick prenant la défense des Jean-Claude Vrain et de son cher fils (48 000 eur marteau). La poésie est un plaisir solitaire.

    Source de cet article:http://www.lefigaro.fr/culture/20070629.FIG000000194_baudelaire_en_solitaire_dans_le_cercle_des_poetes_disparus.html

     

     

  • Catégories : Baudelaire Charles, Des évènements, La littérature

    Des lettres et des chiffres

    V. D..  Publié le 29 juin 2007

    Actualisé le 29 juin 2007 : 10h35

    1- Les Fleurs du mal, 1857, envoi de Baudelaire à Delacroix, record à 603 200 € pour une édition originale de littérature française.

      2- Julie ou La Nouvelle Héloïse, manuscrit de J.-J. Rousseau (110 pages), 1760-1762, adjugé 384 000 € au téléphone.

      3- Du côté de chez Swann, Proust, 1913, un des 5 sur japon acheté 336 000 € par un Européen.

      4- Lettre sur la mort de Pauline de Beaumont, 1803, Chateaubriand, 324 000 € à la table d'experts.

      5- Amoenitates Belgicae, 1864-1866, violent manuscrit de Baudelaire contre les Belges,

      240 000 € à la table d'experts.

      6- Les Paradis artificiels, 1860, Baudelaire, exemplaire de Maxime Du Camp sur chine, 198 000 €.

      7- À l'ombre des jeunes filles en fleurs, Proust, 1920, exemplaire de sa fidèle Céleste, 192 000 €.

     



    Source:http://www.lefigaro.fr/culture/20070629.FIG000000195_des_lettres_et_des_chiffres.html

  • Catégories : Barbey d'Aurevilly Jules

    Littérature, Jules Barbey d'Aurevilly:Les épées sont sorties

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    ÉTIENNE DE MONTETY.
     Publié le 31 mai 2007
    Actualisé le 31 mai 2007 : 11h11

    Jules Barbey d'Aurevilly - Le portrait des académiciens de son temps fut l'occasion pour le polémiste de régler son compte à la société littéraire.

    C'EST l'exercice le plus convenu depuis la création de l'Académie française : railler son principe et sa composition. On se souvient des mots cruels de Cyrano sur les Immortels de son temps : « Porcheres, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud.../Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c'est beau ! » Et Clemenceau et Bernanos de se joindre au choeur des moqueurs. De leur côté, les quarante peuvent exciper de la présence parmi eux de Corneille, Buffon, Montesquieu, Tocqueville, Bergson, Dumézil, Louis de Broglie. Alors ? Au moment de son élection, Cocteau, funambule qui avait décidé de s'asseoir, se justifiait ainsi : « Être académicien et décoré de la Légion d'honneur ôte à mon allure libre tout air conventionnel de révolte. » Académicien mais pas académique, la porte est décidément étroite.
    Dans ces méandres byzantins, où se situe Barbey d'Aurevilly ? On s'en doute. Le connétable porte l'épée à toute heure du jour et de la nuit. Il n'a nul besoin de fréquenter les bicornes du Quai de Conti pour se sentir coiffé. En 1863, dans Le Nain jaune, journal créé par des journalistes du Figaro en rupture de ban, l'écrivain se lance à l'assaut de l'ancien collège des Quatre-Nations. Personne ne l'avait prévenu que la voie lui était ouverte. À moins qu'il n'ait préféré par tempérament l'escalade des hauts murs. Pour le beau geste. Une façon aussi de faire son intéressant.
    Contempteur de l'Académie, Barbey ne mâche pas ses mots. Les quarante assiégés sont passés au fil de l'épée pour faits de collaboration. Collaboration avec quoi ? La médiocrité, la vanité, la mondanité, on en passe. Feu sur Vitet, Mignet, Legouvé, feu sur Cousin, Dupin, Patin, Villemain. Et Rémusat : « M. de Rémusat est un des ministres sans emploi, interné à l'Académie, cette Salpêtrière de ministres tombés et de parlementaires invalides dont l'orléanisme est incurable. » Barbey gagne à tous les coups, mais en s'étonnant qu'un homme de cette trempe s'abaisse à choisir si piteuses cibles.
    C'est quand il s'attaque aux grandes figures des lieux que l'exercice prend de la consistance. Enfin des sujets à sa mesure. Il excelle alors : « Comme il y a en littérature des questions d'honneur autant que partout, quelle réponse fera l'histoire littéraire de l'avenir à la question de savoir pourquoi M. Victor Hugo a sollicité d'être académicien ? (...) Est-ce l'amour du costume, de ce costume qu'avait porté le Grand Empereur ? » Même sort pour Mérimée que l'auteur admire et dont la présence sous la Coupole le déconcerte : « M. Mérimée a le mépris le plus honorable pour tout ce qui est vulgaire, mais c'est un mépris gouverné qui ne l'a pas empêché d'entrer dans une compagnie où les grands talents, par le fait qu'ils y sont, y sont déplacés. » La mansuétude n'est pas son fort. À peine s'applique-t-elle aux poètes. De Lamartine au milieu des quarante, il écrit : « Il y fait une énorme tache de lumière » ; et à la disparition de Vigny : « M. de Vigny est mort hier. On s'étonnait qu'il fût de l'Académie française où, par parenthèse, un Villemain ou un Saint-Marc Girardin, des professeurs ! avaient plus d'influence que lui. »

    Au nom du malheureux Baudelaire
    Comment lire aujourd'hui ces savoureux médaillons dont l'acrimonie a toutefois quelque chose de décourageant ? Avec le plaisir de côtoyer un écrivain à la plume vigoureuse, chargeant avec bonne humeur, renversant les chaises, les vases et les bibelots. Avec humilité aussi. Car enfin ricaner en 2007 de la présence d'un Laprade, d'un Falloux d'un Nisard, d'un Sandeau, est-ce accabler l'Académie pour son manque de clairvoyance ou afficher son inculture, son ignorance des mérites possibles de ces hommes en leur temps ?
    D'ailleurs, l'Académie française doit-elle être un concentré de génies ou une photographie de la France ? Et peut-on éternellement, au nom du malheureux Baudelaire, dédaigner un aréopage qui accueillit Vigny, Hugo, Lamartine, Mérimée, mais aussi Guizot ou Sainte-Beuve ?
  • Catégories : La littérature

    Littérature:Nouvelle édition des "Essais" de Montaigne

    Par Mathieu LINDON
    QUOTIDIEN : jeudi 24 mai 2007
    Montaigne Les Essais Edition établie par Jean Balsamo, Michel Magnien et Catherine Magnien-Simonin. Edition des «Notes de lecture» et des «Sentences peintes» établie par Alain Legros. Gallimard, «la Pléiade», 2076 pp., 69 € jusqu'au 31 août, 79 € ensuite. Album Montaigne Iconographie choisie et commentée par Jean Lacouture, 286 pp., volume offert par le libraire pour l'achat de trois volumes Pléiade durant la Quinzaine de la Pléiade (jusqu'au 2 juin).
    «L 'ignorance et l' incuriosité sont deux oreillers fort doux; mais pour les trouver tels, il faut avoir la tête aussi bien faite que Montaigne.» La vingt-septième des Pensées philosophiques de Diderot dit bien pourquoi une nouvelle édition des Essais est bienvenue. Parce que c'est une bénédiction de lire, relire ou relire encore Montaigne, et que toute occasion est bonne. Lettre de Flaubert : «Je lis du Montaigne maintenant dans mon lit. Je ne connais pas de livre plus calme et qui dispose à plus de sérénité. Comme cela est sain!» On pourrait dire, non pas que les Essais ­ cette nouvelle édition ajoute l'article au titre habituel ­ apportent une réponse à toutes les questions que le lecteur peut se poser, mais qu'il permet de trouver un réconfort à tous les états dans lequel ce lecteur peut se trouver. Montaigne apparaît comme ce que l'humanisme a de meilleur, mélange de simplicité et d'érudition, d'intelligence, de tolérance et de générosité, ouverture dans ce que le terme a de plus respectable. «Homme libre, toujours tu chériras Montaigne», pourrait-on parodier Baudelaire.
    Par ses notes, cette nouvelle édition, qui comprend strictement les Essais et non Journal de voyage en Italie ni aucune correspondance, fait deux cents pages de plus que la précédente et chaleureuse édition Pléiade des OEuvres complètes de 1962 qui semble devenue aussi inexistante qu'une apparition de Trotski sur une photo stalinienne. «Cette nouvelle édition offre non pas l'hypothétique texte idéal des Essais , mais le texte qui se rapproche le plus du dessein de son auteur», écrivent les trois maîtres d'oeuvre de ce volume. Ah, le dessein de l'auteur, ce «pain merveilleux qu'un dieu partage et multiplie» tel l'amour maternel selon Victor Hugo, que voilà une notion délicate à déterminer et respecter dans toute sa rigueur. Toujours est-il qu'il s'agit en l'occurrence du texte posthume établi en 1595 (Montaigne est né en 1533 et mort en 1592) par Marie de Gournay, sa fille adoptive, à partir de deux exemplaires de l'édition précédente annotés par l'écrivain, dont l'un aujourd'hui perdu. Il s'ensuit divers ajouts et un changement de numérotation dans les chapitres du Livre premier. L'orthographe et la ponctuation posthumes sont également préservés ici, si ce n'est dans les détails aidant la lecture pour différencier à coups d'accent grave et à ou la et là . Pour le confort du lecteur, on a aussi eu l'excellente initiative de traduire en bas de pages les citations latines et certains mots d'ancien français.
    L'édition 2007, ce qui est moins immédiatement à l'avantage du lecteur, refuse tout paragraphe qui introduit un sens indu dans le texte de Montaigne, de sorte que, comme à l'origine, chaque chapitre se présente en un seul bloc, tel un texte de Thomas Bernhard. L'écrivain autrichien, qui mettait presque systématiquement un extrait de ses propres textes dans ses épigraphes, avait d'ailleurs choisi une citation de Montaigne en tête de son chef-d'oeuvre Extinction : «Je sens la mort qui me pince continuellement la gorge et les reins. Mais je suis autrement faict : elle m'est une partout.» L'édition 2007 supprime aussi les discrets «(a)» ou «(b)» qui indiquaient précédemment les diverses strates du texte (1580, 1588, ensuite), au titre que ressentir dans la continuité les contradictions du texte est plus dans l'esprit de son auteur, et que de toute façon le nombre de ces strates est indéterminable. «La lente élaboration d'une des phrases les plus fameuses des Essais en apporte la preuve. Devant la difficulté d'analyser les raisons de son amitié pour La Boétie, Montaigne avait reconnu avant 1580 : " Si on me presse de dire pourquoy je l'aymois, je sens que cela ne se peut exprimer"; après 1588, il a tout d'abord ajouté en marge: " qu'en respondant : Par ce que c'estoit lui"; puis, dans un moment ultérieur, d'une autre encre, beaucoup plus pâle, il achève et équilibre enfin la formule sublime : " par ce que c'estoit moy." » Preuve à multiples tranchants, car les indications des éditions précédentes n'ont certes pas empêché la phrase de faire son chemin.
    Les éditeurs de 2007 rendent hommage à la fidélité du travail de Marie de Gournay en 1595, et il est vrai que leur propre travail serait moins intéressant si la fille adoptive de Montaigne eût été désinvolte. Mais on nous assure que ce retour au texte posthume est consensuel chez les spécialistes d'aujourd'hui. Il y a de toute façon quelque chose d'admirable et de quasi romanesque dans cette recherche qu'a dû être ce nouvel établissement du texte et dont le lecteur n'a idée qu'à travers quelques mots échappés ici ou là aux éditeurs, comme quand on comprend qu'ils ont dû collationner le maximum des volumes trouvables et introuvables de l'édition de 1595 pour prendre en compte les corrections faites au fil de l'impression, les exemplaires de l'époque pouvant varier de l'un à l'autre.
    SOURCE DE CET ARTICLE:

  • Catégories : La littérature, Pratt Hugo

    Une suite pour Corto Maltese

    medium_cortonouveau.gifpar Jérôme Dupuis
    Lire, mai 2007

     Douze ans après la mort d'Hugo Pratt, de nouvelles aventures sont envisagées pour le célèbre marin. Le projet pourrait se construire autour de la jeunesse de Corto et de planches inédites conçues par le maestro lui-même. Mais qui va reprendre le crayon?

    Le nouveau visage de Corto ?

    Corto Maltese n'est pas mort! Douze ans après la disparition de son créateur, Hugo Pratt, le marin à l'anneau dans l'oreille devrait vivre une nouvelle aventure d'ici deux ou trois ans. La nouvelle, révélée par Le Figaro lors du dernier Festival d'Angoulême, a ouvert la porte aux spéculations les plus hasardeuses et aux rêves les plus fous. Lire peut apporter de nouveaux éléments autour de ce projet.

    Première question, légitime: qu'en aurait pensé Pratt lui-même? A la différence d'Hergé, le dessinateur vénitien n'a jamais exprimé le vœu que son héros ne lui survive pas. «Au contraire, rappelle Pietro Gerosa, directeur général de la société Cong, qui gère aujourd'hui son œuvre, Pratt n'avait pas un sens de la propriété de son héros très développé et souhaitait qu'il continue à vivre sa vie.»

    Mais quelle nouvelle aventure pour le marin maltais? Après relecture des albums, il est apparu qu'il existait manifestement un «trou noir» dans la vie de Corto. On ne sait quasiment rien de son destin entre la fin de La jeunesse de Corto Maltese, qui se terminait sur le front russo-japonais en 1905, et la première page de La ballade de la mer salée, qui s'ouvre fin 1913, en plein Pacifique. Huit années pleines de mystère: un intervalle où devrait donc s'insérer l'aventure à venir.

    D'autant que les héritiers du maestro vénitien ont récemment découvert par miracle, noyés dans ses archives, une douzaine de strips auxquels il travaillait avant sa mort et qui, coïncidence engageante, font directement suite à La jeunesse de Corto Maltese. On y voit le jeune Corto et son compagnon Raspoutine - dont la légendaire barbichette n'a pas encore poussé - sur un bateau japonais arraisonné par des pirates. Nos deux héros parviennent à se cacher dans la cale. «Vieni, presto!» lance Corto à «Rasp» dans la dernière case retrouvée... Où allaient-ils ainsi, presto? Vers les mines d'or du roi Salomon, objet de tous les rêves de Corto à l'époque? Peut-être... Mais pour l'aventure à venir, il se murmure que nos deux amis pourraient voguer vers des territoires où on ne les avait guère croisés jusqu'ici. On parle du Canada, des Etats-Unis - autant de lieux déjà explorés par Pratt dans Jesuit Joe ou Fort Wheeling, mais jamais par Corto lui-même. «Reprendre le personnage à ce stade permet de découvrir un Corto encore largement inconnu, sans sa casquette et ses favoris qui viendront plus tard, confirme Pietro Gerosa. Il n'a que dix-huit ans et c'est un peu Corto avant Corto...»

    Reste évidemment une question cruciale: qui va reprendre la série? Qui va oser mettre ses pas dans ceux du mythe Pratt? Quelques «candidatures spontanées» sont déjà parvenues à la société Cong; d'autres dessinateurs, plus confirmés, ont laissé entendre qu'ils ne se sentaient pas de taille... «Je crois qu'il faut accepter l'éventualité de ne pas trouver un créateur unique, capable de s'occuper à la fois du scénario et du dessin, analyse Pietro Gerosa. Après tout, pour remplacer Edgar P. Jacobs et poursuivre les aventures de Blake et Mortimer, on a aussi fait appel à des tandems. Alors nous cherchons, nous faisons des essais...»

    En aucun cas il ne s'agira de singer le style Pratt. D'ailleurs, contrairement à Jacobs, dont le trait «ligne claire» avait ses codes très précis, le style de Pratt a constamment évolué au fil des ans: gardant encore des traces de l'influence du dessinateur américain Milton Caniff dans La ballade de la mer salée, extrêmement maîtrisé et jouant sur les à-plats noirs dans Corto Maltese en Sibérie (peut-être son chef-d'œuvre), plus relâché dans les derniers albums... Les heureux élus ne seront donc pas prisonniers d'un carcan. A eux d'imaginer un nouveau Corto.


    Source de cet article:http://www.lire.fr/enquete.asp/idC=51247/idR=200

  • Catégories : La littérature

    Littérature:Oscar Wilde, échec et mat à Paris

    JEAN-CLAUDE PERRIER.
     Publié le 24 mai 2007
    Actualisé le 24 mai 2007 : 11h52
    Oscar Wilde à Paris de Herbert Lottman traduit de l'anglais (États-Unis) par Marianne Véron Fayard, 260 p., 19 €.

    Le biographe américain Herbert Lottman suit l'écrivain pas à pas dans la capitale grâce à sa correspondance et à de nombreux témoignages.

    SOUS son titre quelque peu réducteur, Oscar Wilde à Paris, le biographe américain Herbert Lottman, qui s'est spécialisé dans l'étude minutieuse de la vie intellectuelle française (on lui doit en particulier une biographie d'Albert Camus, publiée au Seuil en 1978, ou encore un essai sur L'Épuration : 1943-1953, paru à la Librairie générale française en 1994), s'est en fait adonné à une réinterprétation de la vie du malheureux Oscar Wilde (1854-1900) à partir de son tropisme parisien.
    Irlandais, francophone, Wilde découvrit la France dès l'âge de vingt ans, en compagnie de sa mère, l'extravagante lady Jane, qui militait farouchement pour l'indépendance de son pays et se faisait symboliquement appeler Esperanza. Un voyage d'initiation, comme tous les jeunes gens bien nés en accomplissaient à l'époque. Mais, au-delà, Wilde s'est vite senti plus chez lui de ce côté-ci du Channel qu'en Angleterre, dans ce Londres victorien qui le fascinait, où il brûlait d'être reconnu : et il le sera, grâce à ses pièces de théâtre, L'Éventail de Lady Windermere ou Une Femme sans importance, juste avant son procès et sa chute, en 1895. En matière d'« outrage aux bonnes moeurs », surtout lorsque l'un des protagonistes était un aristocrate, lord Alfred Douglas, fils du venimeux marquis de Queensbury, l'Angleterre était bien plus socialement conservatrice, bien moins libérale que la France, laquelle, depuis le XIXe siècle, pratiquait une certaine tolérance à l'égard de ses artistes. À condition qu'ils ne s'affichassent point de façon trop scandaleuse. Si Verlaine avait eu des ennuis, ce n'était pas à cause de ses relations avec Rimbaud, mais parce qu'il lui avait tiré dessus à coups de revolver.
    Au Père-Lachaise, une statue de lui nu
    Herbert Lottman, grâce à sa correspondance, aux témoignages de ses quelques vrais amis ou de ses contemporains, pas forcément bien disposés à son égard (Léon Daudet, par exemple, ou le peintre Whistler, qui ne l'aimaient guère), suit pas à pas Oscar Wilde dans ses pérégrinations parisiennes : les grands hôtels de la rive droite ou les cafés à la mode des Grands Boulevards, où, au temps de sa splendeur, il tenait table ouverte, entretenant une nuée de courtisans, parasites, jolis garçons plus ou moins vénaux. Mais aussi, et c'est sans doute la partie la plus novatrice de ce livre, lorsque, à sa sortie de prison en 1897, Wilde, ruiné, brisé, devenu un paria malade et incapable d'écrire, se réfugia, d'abord en Normandie, puis à Paris, dans des chambres d'hôtels minables du Quartier latin, qu'il ne pouvait d'ailleurs pas toujours payer : sa correspondance de ces années-là n'est qu'une litanie d'appels au secours pathétiques à son éditeur anglais, à ses amis proches, souvent même à de simples connaissances, afin qu'ils le dépannent de quelques livres. Parmi lesquels Gide, qui n'abandonnera jamais Wilde, en dépit de ses attitudes provocantes qui le heurtaient. Ou encore l'excellent M. Dupoirier, le propriétaire de l'hôtel d'Alsace, rue des Beaux-Arts, où Wilde mourut le 20 novembre 1900, et qui fut pour lui plus un mécène qu'un logeur. Son nom méritait, à ce titre, de passer à la postérité.
    Il y a encore, à la fin du livre de Lottman (qui s'achève abruptement sur un portrait de la nièce de Wilde), un chapitre étonnant : le sculpteur Jacob Epstein ayant réalisé pour la tombe de l'écrivain au Père-Lachaise une statue de lui nu, dans l'esprit du Balzac de Rodin (qui fit scandale en son temps), il fallut attendre jusqu'en 1914 pour que l'oeuvre fût visible dans son intégralité... Même après sa mort, Oscar Wilde, qui avait tout raté, continuait à choquer.
  • Catégories : La littérature

    Littérature:Rebondissement dans l'affaire Bovary

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    ASTRID DE LARMINAT.
     Publié le 24 mai 2007
    Actualisé le 24 mai 2007 : 11h50

    Philippe Doumenc  - Emma s'émancipe de son créateur. La voilà en reine posthume d'un « polar » qui invente une suite au roman de Flaubert.

    FLAUBERT, sur son lit d'agonie, l'avait pressenti : « Cette pute de Bovary va vivre et moi je vais mourir comme un chien. » Mme Bovary s'est émancipée de son créateur. Elle est devenue un mythe, presque un nom commun. L'icône de la femme infidèle est tombée dans le domaine public. Elle s'est commise avec d'autres romanciers qui ont joué avec elle, la travestissant à leur goût. Philippe Doumenc n'est pas le premier de ces profanateurs. Mais on n'était sans doute jamais allé aussi loin dans le « viol littéraire » qu'avec sa Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary...
    Doumenc reprend l'histoire au moment de l'agonie d'Emma et lui fait suivre un autre cours. À travers le personnage de Rémi, jeune assistant de police envoyé par la préfecture de Rouen, le romancier diligente une contre-enquête sur la mort de l'héroïne, imaginant qu'elle ne se serait peut-être pas suicidée mais aurait été assassinée.
    À première vue, le récit de Doumenc est fidèle à celui de Flaubert, dont il respecte le détail et le genre. Mais, peu à peu, son propos se révèle bien plus irrévérencieux qu'il n'y paraît. Rétrospectivement, il réécrit le roman d'Emma, réinterprète le personnage. La voilà moins sentimentale, plus avertie ; plus prosaïque, moins troublante. Doumenc met en avant tel personnage qui était secondaire chez Flaubert, en efface d'autres. En faisant de Flaubert lui-même un personnage qui apparaît à l'enterrement de sa Mme Bovary, Doumenc brouille les pistes. Il amène le lecteur à l'idée qu'Emma Bovary a réellement existé, qu'elle n'a rien à voir avec la Delphine Delamare dont Flaubert disait s'être inspiré, que son propre récit est une scrupuleuse relation de sa vie, tandis que Flaubert, lui, l'aurait romancée et même interprétée de travers...
    Qui voulait la mort d'Emma ? 
    On aime cette impertinence à l'égard du maître du roman. D'autant que Philippe Doumenc a réussi un divertissant exercice littéraire ainsi qu'une variation bien troussée autour des histoires d'envie et d'amour que recèle une bourgade de province à une époque pudibonde. Son livre est aussi un « polar » efficace, où il apparaît que la culpabilité est la chose la mieux partagée du monde. En effet, comme les interrogatoires le montrent, plusieurs personnes dans l'entourage d'Emma avaient des raisons de souhaiter qu'elle disparaisse...
    Pourtant, il suffit de relire le chef-d'oeuvre de Flaubert pour être persuadé que toute copie fait pâle figure. La publication en fac-similé de la première édition de Madame Bovary, et plus précisément de l'exemplaire où Flaubert avait reporté les coupes qu'on voulait lui imposer, est l'occasion de redécouvrir l'original, inégalable.
    Sur cet exemplaire qu'il destinait à la postérité, afin que l'on sache à quelle censure inepte on voulait le soumettre, Flaubert, frémissant de rage, a barré, rayé et mis entre crochets les phrases et les passages qui n'étaient pas du goût de l'éditeur de La Revue de Paris où son roman allait paraître en feuilleton. Outre les mots interdits - adultère, concubine, filles, concupiscence -, les descriptions trop détaillées du corps humain et l'évocation de réalités jugées triviales - « le morceau de veau cuit au four », « un long jet de salive brune » - sont mises à l'index par le bon goût du temps. L'éditeur voulait également que le romancier refasse deux ou trois scènes qui tiraient en longueur : les noces de Charles et d'Emma et la fameuse fête des comices...
    Scandale avant parution
    Mais Flaubert, après quatre ans et demi de travail et 4 500 pages raturées, n'était pas d'humeur à laisser frelater son texte. Il envisageait de traîner en justice l'éditeur (lequel était un peu surpris de l'irascibilité de cet auteur inconnu auquel il pensait faire un honneur en le publiant) quand le ministère public l'attaqua le premier pour immoralité...
    Préfacé par Yvan Leclerc, professeur à l'université de Rouen et directeur du Centre Flaubert, un livret qui rassemble des extraits des pièces concernant cette affaire ainsi que des lettres et notes inédites de l'auteur accompagne judicieusement la publication de « l'exemplaire témoin ». Lequel atteste aussi qu'Emma Bovary défrayait la chronique judiciaire avant la parution du roman de Flaubert. Et si c'était Doumenc qui avait raison ?
    Contre-enquête sur la mort d'Emma Bovary de Philippe Doumenc Actes Sud, 185 p., 18 €. Madame Bovary de Gustave Flaubert Coédition Alinéa-Point de vues-Élisabeth Brunet, Libraires éditeurs, 490 p., 29 €.
  • Catégories : La littérature

    Hugo Pratt, une vie de roman

    medium_prattpere.gifLes Pratt, père et fils, en uniforme
    de la police de l'Afrique italienne

     par Tristan Savin
    Lire, mai 2007

     Aucune phrase ne pourrait mieux résumer la vie et l'œuvre du père de Corto Maltese: «J'ai appris à dessiner en Ethiopie, à écrire en Argentine», confiait Hugo Pratt. Une existence riche en rencontres, en aventures et en lectures. Une œuvre désormais reconnue pour son originalité, car Pratt fut l'inventeur de la bande dessinée littéraire. On lui doit le premier «roman dessiné», La ballade de la mer salée.

    «Je connais treize façons de raconter ma vie», déclarait Hugo Pratt. «La vie de nos rêves est peut-être la plus authentique», ajoutait-il en citant Pessoa. Plus prosaïquement, le futur géniteur de Corto est né en 1927 à Rimini (Italie). Pour comprendre son itinéraire, le contexte familial compte plus que le lieu de naissance qu'il ne cessera de fuir. Son grand-père paternel, Joseph Pratt, était un Lyonnais de lointaine origine anglaise et aristocratique. D'abord dessinateur en architecture militaire («Je lui dois mon don», déclarait Hugo), il trouva un poste de professeur de français dans un institut de Venise et mourut de la grippe espagnole. Du côté maternel, «ma généalogie est franchement romanesque», s'amusait le brasseur de légendes. Le père de sa mère était un enfant illégitime et ses ancêtres, des juifs de Tolède convertis en arrivant à Venise. Quant à sa grand-mère maternelle, également juive, ses aïeuls avaient quitté la Turquie pour travailler à Murano...

    On comprend pourquoi Hugo Pratt fera de Corto Maltese le fils d'un marin britannique et d'une gitane, élevé dans le barrio de la Judería, à Cordoue. La mère d'Hugo, Evelina Genero, était la fille d'un pédicure et poète, fondateur des Faisceaux de combat vénitiens. «La seule personne qui contestait le fascisme était mon oncle Ruggero, marin dans la marine marchande. Il avait beaucoup voyagé, était au courant de tout ce qui se disait, aussi bien en Russie qu'en Amérique. [...] Comme pas mal de marins, il était devenu plus ou moins anarchiste. Corto Maltese lui doit peut-être quelque chose!»

    Evelina n'avait pas fait d'études. Elle pratiquait l'astrologie et la cartomancie. «On la considérait comme la sorcière de la famille.» L'enfant hérita d'elle son intérêt pour l'occultisme et la magie, qui s'exprimera à travers les aventures oniriques de Corto. Quand il n'a que six ans, «Neno» (diminutif d'Hugo pour sa famille) est laissé au soleil par sa mère. On le croit déficient: il se retrouve dans une école pour malades mentaux. Il en sort six mois après, rétabli. La figure paternelle avait également de quoi frapper l'esprit d'un petit garçon: Rolando Pratt, orphelin, avait fait quelques mois de prison dans sa jeunesse, pour avoir cassé un nez au cours d'une rixe. Son casier judiciaire nuit à ses recherches d'emploi. La marche sur Rome lui en procurera un: servir Mussolini sous l'uniforme.

    Le plus jeune soldat de l'armée fasciste
    En 1936, Rolando Pratt est envoyé en Ethiopie, fraîchement colonisée par l'armée italienne. Il installe sa famille à Entotto, où Neno fréquente le lycée Vittorio Emanuele III. Les temps sont troubles. Un jour où il garde la maison, l'enfant ouvre la porte à un chef guérillero, bardé de cartouchières: «Il portait, suspendus à la ceinture, des testicules, des yeux et des oreilles qu'il avait coupés aux Italiens.» Un Abyssin évite à Hugo le même sort. En juin 1940, son père l'enrôle dans la police de l'Afrique italienne, malgré son âge, pour participer aux campagnes militaires. Un an plus tard, les Britanniques rentrent dans Addis-Abeba. L'adolescent est interné avec sa mère à Dirédaoua, à l'est du pays. Le voici plus jeune prisonnier italien, après avoir été le plus jeune soldat!

    Neno engrange les souvenirs, qui ressurgiront plus tard sous forme de dessins ou d'éléments scénaristiques. Il dort sur des sacs de sable; un homme meurt sous la fenêtre qu'il enjambe chaque soir; un nouvel évanouissement en plein soleil lui donne l'occasion d'être recueilli par des contrebandiers de qat et des voleurs de chameaux, «ces gens qui se mettent de la chaux sur les cheveux pour devenir roux». Il se souviendra encore: «J'étais devenu plus noir qu'un Danakil, toujours au milieu des chameaux sous le soleil le plus brûlant du monde.» Il découvre les plaisirs de l'amour à cette époque, d'abord avec une Abyssine, puis s'éprend d'une «Blanche-Neige de Walt Disney», Clara Pecci. Il la retrouvera deux ans plus tard à Vicence, tuée sous un bombardement.

    En 1942, Rolando Pratt est arrêté par les Anglais. Il meurt à la fin de l'année d'un cancer du foie. Hugo et sa mère sont rapatriés par la Croix-Rouge. Le canal de Suez étant fermé, leur cargo met plusieurs mois à contourner le continent africain. Mussolini et le roi d'Italie les accueillent à Naples pour leur souhaiter la bienvenue dans leur patrie. Mais après la vie en Abyssinie et la découverte du racisme des siens, Hugo Pratt a-t-il encore une patrie? Pour l'écrivain Alain Borer, il faudrait plutôt parler de «prattie», pays imaginaire qui engloberait Venise, Buenos Aires et la Corne de l'Afrique. Après l'armistice, le jeune homme s'engage dans le bataillon Lupo de la république de Salò. Il se fait ensuite passer pour un pilote sud-africain et se fait arrêter par les Allemands. Contraint à s'engager dans la police maritime du Reich, il parvient à déserter trois semaines plus tard. Aidé par des résistants, il franchit la ligne de front, rejoint les troupes alliées et s'enrôle en tant qu'interprète.

    En avril 1945, il revient à Venise pour assister à l'entrée des libérateurs, sur une voiture blindée canadienne, habillé en Ecossais. A l'époque, «Venise était un gigantesque bordel, un carnaval improvisé», déclarera-t-il. Il réussit à se faire engager dans l'armée néo-zélandaise, après s'être tatoué le visage comme un Maori, avec un stylo! Sa légende est en train de naître et avec elle le personnage du futur Corto: Hugo Pratt aura fait la guerre dans tous les camps, sous presque tous les uniformes...

    Guitariste, rugbyman et... dessinateur
    Dans l'euphorie de la paix, le Vénitien retrouve un lieutenant juif polonais, un certain Koinsky, dont il fera vingt-cinq ans plus tard le héros des Scorpions du désert. Hugo Pratt devient officiellement dessinateur de bande dessinée en décembre 1945, quand paraît le premier numéro de L'as de pique, revue de comics créée avec deux amis. Ce n'est plus un groupuscule militaire mais l'un des premiers mouvements artistiques italiens centrés sur la BD. Hugo ne vit pas pour autant de sa plume. Il devient organisateur de spectacles, rattaché à la Ve armée américaine. Entre autres talents, ce passionné de jazz joue de la guitare, chante et danse.

    En 1946, il est agent d'expéditions au port de Venise, joue au rugby en première division et tente d'intégrer la Légion étrangère. Il voyage en Europe et rêve de s'embarquer à destination de l'Amérique. Mais la police l'en empêche. La bande dessinée lui permet de s'évader autrement: il écrit l'histoire d'Indian River avec son ami Mario Faustinelli. Pratt peut enfin s'embarquer sur un transatlantique et gagne l'Argentine, sa troisième «prattie». Installé à Acassuso, il reprend la série Junglemen et en profite pour découvrir la Patagonie.

    En 1952, Hugo rencontre Anne Frognier, une jeune Belge installée à Buenos Aires, et Gucky Wogerer, d'origine yougoslave. Il épouse cette dernière, dont il aura deux enfants, Lucas et Marina. Pendant sa période argentine, il boit et dessine beaucoup. La vie sentimentale du don Juan se complique: après avoir fait la connaissance de Gisela Dester, une jolie Allemande devenue sa collaboratrice, il se sépare de Gucky. En 1959, Pratt s'installe à Londres et réalise plusieurs séries de guerre. L'un de ses premiers chefs-d'œuvre date de cette époque: il scénarise et dessine Ann de la jungle en s'inspirant d'Anne Frognier, sa nouvelle compagne.

    Une existence de héros de roman
    La décennie suivante montre l'intérêt d'Hugo Pratt pour la littérature. «Mon père avait hérité de son propre père le goût et le respect des livres. [...] Il me faisait lire Jules Verne, en français et avec un atlas.» Le dessinateur se passionne pour tous ces auteurs réunis sous la bannière des écrivains voyageurs: Joseph Conrad, Herman Melville, T.E. Lawrence, Jack London, Henry de Monfreid, Hemingway et Saint-Exupéry, auquel il consacrera un album hommage à la fin de sa vie. Après avoir réalisé le premier épisode de Capitaine Cormorant, il entreprend d'illustrer Sindbad le marin et Le retour d'Ulysse, puis L'île au trésor et David Balfour de Stevenson. «J'avais cinq ans quand mon père a commencé à me raconter des histoires de pirates.» Pratt, immense lecteur, dont le panthéon personnel s'élargissait à Hermann Hesse, D'Annunzio, John Reed et James Joyce, n'a cessé de démontrer à travers son œuvre qu'il était le plus érudit des dessinateurs de son époque. Tout en menant une existence de héros de roman, digne de celle de Blaise Cendrars ou de Joseph Kessel.

    Toujours marié officiellement à Gucky, il convole religieusement avec Anne à Venise. La naissance de leur fille Silvina ne l'empêche pas d'effectuer une exploration de l'Amazonie. En 1965, quand Jonas Pratt voit le jour, Hugo retourne au Brésil et apprend l'existence de Tebocua, son fils, que lui a donné une Indienne Xavantes. La même année, l'incorrigible coureur reconnaît d'autres enfants: la petite Victoriana Aureliana Gloriana dos Santos, sa fille avec une prêtresse de macumba, et «les enfants illégitimes des quatre sœurs. Voilà comment, à Salvador de Bahia, on peut aujourd'hui rencontrer un Lincoln Pratt, un Wilson Pratt ou un Washington Pratt». En donnant des noms de présidents américains, le dessinateur s'est donc amusé à composer un mont Rushmore à sa gloire!

    Après un périple aux Caraïbes, Pratt lance en 1967 la revue Sgt. Kirk avec deux amis. Cette date va marquer sa carrière d'une pierre blanche (et noire) puisque la publication de La ballade de la mer salée correspond à la première apparition de Corto Maltese. C'est aussi une véritable révolution dans le neuvième art. Pour la première fois, la narration compte autant que le dessin. L'intrigue et les personnages sont complexes, et l'atmosphère - magnifiée par l'encre de Chine - nous éloigne du monde de l'enfance cher à Walt Disney et à Hergé. Les errances et les rencontres de Pratt lui ont permis d'aboutir à une alchimie: «A force d'arpenter le monde et de faire la connaissance de tels personnages, cela devient assez facile pour quelqu'un qui écrit et dessine des comic-strips d'aventures de remplir ses histoires de beaux caractères, de jouer avec les psychologies...»

    Au sommet de son art, il publie le premier épisode des Scorpions du désert et confirme sa maîtrise de la narration, toujours basée sur de sérieuses recherches historiques. Il retourne en Ethiopie pour retrouver la tombe de son père, puis poursuit en Tanzanie et au Kenya à la recherche de l'épave du Königsberg. En avril 1970, les millions de lecteurs de Pif Gadget ont droit à la première apparition française de Corto Maltese. Puis Hugo se rend en Irlande, où il récolte des légendes dont il se servira pour Les celtiques.

    La reconnaissance tardive d'un véritable auteur
    Entre deux voyages, Pratt devient citoyen d'honneur de la ville de Wheeling et publie l'un de ses plus beaux albums: Corto Maltese en Sibérie. La presse s'arrache dorénavant les aventures du Maltais, des deux côtés des Alpes: Pilote, A suivre, Le Matin de Paris, l'hebdomadaire politique L'Europeo... Enfin, une nouvelle revue voit le jour: Corto Maltese. En 1978, le dessinateur aux semelles de vent est invité par le gouvernement révolutionnaire angolais. Il partage désormais sa vie entre l'Argentine, l'île Saint-Louis, Malamocco, Rome et Milan. Inspiré par ses voyages aux Etats-Unis et au Canada, Pratt écrit Un été indien, sombre histoire de colons américains dessinée par son ami Milo Manara. Avec le succès croissant de Corto Maltese (7 millions d'exemplaires écoulés à ce jour), les années 1980 sont celles de la consécration. La chanteuse Lio lui demande d'illustrer la pochette d'un disque. François Mitterrand offre à Jacques Laffite l'intégrale de Corto Maltese. Pratt dévoile une nouvelle facette de son personnage: il joue dans Mauvais sang de Leos Carax, aux côtés de Juliette Binoche et Michel Piccoli. Il avait déjà tourné dans quelques longs métrages italiens. Dans Blue Nude, un film noir, il jouait le rôle d'un tueur d'homosexuels...

    En 1984, il s'installe à Grandvaux, près de Lausanne, dans une grande maison remplie des milliers d'ouvrages amassés au cours des années. Il fréquentait assidûment les bouquinistes des quais parisiens et la librairie Ulysse, première de France consacrée aux voyages. Après une excursion en Patagonie, il publie Tango, histoire de la traite des Blanches en Argentine. Il fait des repérages à Djibouti pour la série des Scorpions puis s'embarque pour l'île de Pâques, qui lui inspire la dernière aventure de Corto Maltese: Mû. Il peut désormais se consacrer à la littérature et illustre les Lettres d'Afrique de Rimbaud, des Sonnets érotiques de Giorgio Baffo et des poésies de Rudyard Kipling.

    En 1992, le père de Corto pousse l'aventure toujours un peu plus loin et visite les îles Samoa: il rêvait de se rendre sur la tombe de Robert Louis Stevenson. A son retour, le parti socialiste italien lui commande un ouvrage sur Garibaldi. Pratt est hospitalisé en 1994 pour une tumeur. Comme en écho à son désir de ne pas disparaître, J'avais un rendez-vous, beau récit illustré de son voyage dans les mers du Sud, est publié au même moment.

    En serrant dans ses mains une croix éthiopienne, Hugo Pratt a définitivement rejoint le monde des fées le 20 août 1995 à Pully, près de Lausanne. Deux mois avant sa mort, l'infatigable travailleur avait eu le temps d'achever l'album Morgan.

    SOURCE DE CET ARTICLE:http://www.lire.fr/enquete.asp/idC=51250/idR=200

  • Sur la piste de Corto

    par Tristan Savin
    Lire, mai 2007

    De notre envoyé spécial à Addis-Abeba et Djibouti

     Hugo Pratt a vécu son adolescence en Ethiopie, alors appelée Abyssinie. Il y envoya plus tard son héros Corto, dont les traces se mêleront à celles des écrivains qui sillonnèrent la région: Rimbaud, Henry de Monfreid et Dino Buzzati. Les éthiopiques sont le fruit de tous ces souvenirs, avec Les Scorpions du désert, série inspirée par les bourlingues du Vénitien à Djibouti. Lire est parti sur ces traces encore chaudes. Entre Nil Bleu et mer Rouge, les plateaux hantés par les nomades Danakils offrent des paysages que Pratt aimait dessiner: désert volcanique où sévissent les pirates, montagnes pelées où se cultive le qat (plante aux vertus hallucinogènes de la Corne de l'Afrique), brousse où rôdent les hyènes dès la nuit tombée... Un siècle après Corto, l'aventure est toujours au rendez-vous.

     

    La gare de Dirédaoua.
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    La voiture a pris feu. Depuis plusieurs jours, nous attendons une pièce de moteur. Le guide a disparu. Rançonnés en chemin par des Oromos, nous n'avons plus assez de birrs, la monnaie locale, pour prendre la route du retour. Scènes de la vie quotidienne. Un homme se rase dans un rétroviseur. Une gamine pousse une roue de vélo. Une mère porte sa fillette fesses nues, en menant un troupeau de chèvres. Un petit voleur pleure face à deux policiers. Un mendiant salue. Des automobilistes s'insultent. De sa baguette, un garçon dirige un défilé imaginaire de canards. Un homme crache. Une femme rit. Une jolie Amhara laisse admirer ses mollets. Il se met à pleuvoir et les chèvres s'agglutinent contre les murs peints. Ce soir, la rue appartiendra aux chats et aux chiens.

    Cortographie de l'Abyssinie
    Pour les Ethiopiens, chrétiens orthodoxes, nous sommes encore en 1999. Le calendrier amharique n'est pas grégorien, mais julien. L'horloge ne marque pas non plus les heures occidentales. Quand on croit se lever à six heures, il est en fait une heure. L'Abyssinien vit à une autre époque, mais toujours au rythme du soleil. Ironie de l'histoire, le colonisateur de la Corne de l'Afrique, Soleillet, qui fut l'ami et associé de Rimbaud, est mort d'une insolation.

    Parfait connaisseur du pays, où il vécut de 1937 à 1943, soit de dix à seize ans, et dont il parlait la langue, Hugo Pratt a su jouer dans son œuvre avec les nombreux signes que renvoie le berceau de l'humanité (les ossements de Lucy furent retrouvés ici, au nord du lac Abe), avec l'errance qu'il génère, les dates qui s'y télescopent. Il le sait, depuis Lawrence d'Arabie, une partie de l'Histoire s'y trame en coulisse... L'Abyssinie et ses ports d'accès sont au carrefour des mondes arabe et africain, chrétien et musulman, lieu géostratégique toujours aussi convoité, sur la route du canal de Suez à l'océan Indien: la Légion étrangère (qui fascina Pratt) s'entraîne encore à Djibouti, les forces américaines pilonnent Mogadiscio, Aden fournit des terroristes et les Emirats arabes influencent la politique régionale à coup de pétrodollars. Fils de militaire, devenu lui-même le plus jeune soldat de l'armée italienne à l'âge de treize ans, Hugo Pratt s'est naturellement intéressé aux campagnes africaines menées par les puissances européennes.

    Corto Maltese débarque dans la région en 1916, au moment où les Britanniques contrôlent la Somalie et le Soudan, les Turcs, le Yémen, et les Allemands, le Kenya, alors appelé Afrique orientale. Son aventure débute à Aden et se poursuit à Harar. Car le parcours de Corto suit celui d'un autre aventurier, Rimbaud. Le marin sans bateau connaît ses classiques: Henry de Monfreid emprunta la même piste, voie de tous les trafics, entre Yémen et Abyssinie. Singeant l'auteur d'Une saison en enfer, le Maltais se déguise en mahométan. Pratt ne laisse rien au hasard: les premiers mots des Ethiopiques sont ceux d'une sourate intitulée «Le soleil de la matinée». Le lecteur comprend, au fil de l'histoire, que le personnage essentiel n'est pas Corto mais un Dankali du nom de Cush. Ce guerrier nomade porte le poignard traditionnel au bras, le fusil sur les épaules à la manière des bergers et mâche en permanence un brin d'herbe - probablement du qat. Son nom s'éclaire quand on apprend que l'afar et l'issa sont des langues couchitiques. Partir sur les traces de Corto, c'est donc tout naturellement aller à la recherche de Cush, de son peuple et de ses coutumes ancestrales... Et plonger dans l'adolescence d'Hugo Pratt, qui déclarait avoir découvert l'émancipation grâce à un Abyssin nommé Brahane, domestique dans la maison familiale: «C'était un Ethiopien splendide, qui avait eu le temps de faire la guerre contre les Italiens et qui maintenant devait faire le serviteur...»

    Jean-Claude Guilbert, marié à une belle Amhara, vit à Addis-Abeba. Ce grand reporter devenu écrivain fut l'ami de bourlingue d'Hugo Pratt pendant quinze ans, jusqu'à sa mort. Ils sillonnaient ensemble la Corne de l'Afrique, traquant les Scorpions du désert et les souvenirs littéraires: «Dans la capitale, il ne reste aucun bâtiment de la période italienne, à l'exception du théâtre et d'une église. A Entotto, le quartier où vécut Hugo a été rasé, ainsi que le lycée Vittorio Emanuele III où il étudiait. Pour retrouver les lieux qu'il fréquenta, il faut se rendre à Dirédaoua et à Harar, au nord-est...» Au mur du bureau dans lequel le Français rédige un guide Corto consacré au pays, une carte localise la faune éthiopienne: panthères et lions aux confins de la Somalie, girafes aux frontières du Soudan et du Kenya, crocodiles des lacs Tana et Abaya, singes et hyènes un peu partout... «Le plus grand danger, ce sont les hommes», prévient Getaoun, le chauffeur et interprète amhara auquel Guilbert nous confie: «On ne peut jamais rouler de nuit, à cause des pillards. Ici, une vie ne vaut rien.»

    Nomades' land
    On rencontre parfois des Ethiopiens d'origine italienne. A Nazret, un garagiste du nom de Ricardo Pipinno peut vous sauver la vie en réparant une ceinture de sécurité que personne ne parvenait à débloquer. Envahi par les troupes mussoliniennes en 1935, le pays conserve des traces de l'occupation: dans la langue nationale, l'amharique, «au revoir» se dit ciao! Et la machina désigne une voiture. Quant aux lions du zoo d'Alameya, ils sont nourris avec des spaghettis.

    En arrivant à la hauteur du parc naturel d'Awash, on croise des Karayous, bergers nomades armés de fusils automatiques. «Ils les ont obtenus du gouvernement pour protéger leurs troupeaux contre les lions», explique Getaoun. On en fait parfois un autre usage, comme nous l'apprendrons bientôt à notre détriment. L'aventure commence à midi, à trois cents kilomètres de la capitale, en pleine savane. De la fumée envahit subitement la cabine de notre Toyota. Le moteur est situé... entre nos sièges. Ancien fakir, Getaoun n'a pas peur des flammes: il en a craché pendant un an dans un cirque italien. Il maîtrise l'incendie grâce aux provisions d'eau. Trois heures durant, il tente de réparer les dégâts. En vain. Nous sommes en territoire oromo. Des jeunes filles sorties de nulle part s'approchent pour assister au spectacle. Elles portent les cheveux en tresses et des bijoux de fines perles bariolées. Dans leurs yeux sombres brillent des pupilles de lynx. L'une d'elles a les dents limées en pointes. Les plus téméraires réclament de l'eau. Une bouteille vide les contente. Rien ne se perd. Sauf l'eau de notre moteur. Nous abandonnons le véhicule à la garde de trois adolescents oromos. Une voiture de passage nous rapatrie sur Awash, entassés, musique à fond, avec quatre poules dans le coffre et un revolver dans la boîte à gants. Notre sauveur est un petit trafiquant de qat. Ça rapporte plus que le café -, qui tient son nom de la province de Kaffa, dans les montagnes du Nord-Ouest. «Les Vénitiens introduisirent le café éthiopien en Europe via la ville yéménite de Moka», aimait rappeler Pratt.

    Arrivés au garage d'Awash, nous apprenons que la dépanneuse envoyée à notre secours s'est fait tirer dessus. Trois impacts en attestent, sur le rétroviseur et la carlingue, à quelques centimètres du volant. «Deux Issas», raconte le conducteur, impassible. Et modeste. C'est à Getaoun que l'on doit les détails: «Les bandits étaient embusqués dans un virage. Quand il les a vus armer leurs fusils, il a foncé sur eux pour les mettre en fuite. Ils ont tiré après son demi-tour. Le plus inquiétant, c'est qu'ils attaquent désormais en plein jour... On doit garder les yeux ouverts en permanence.»

    Tristes éthiopiques
    Après les heures passées en plein soleil, le Buffet de la gare d'Awash (en français dans le texte) est un havre de paix. Il s'agit d'une auberge historique, construite par les Français en même temps que la gare, au début du XXe siècle, sur la ligne Addis-Djibouti. Mais les attaques de trains, paraît-il fomentées par des politiciens propriétaires de camions, ont transformé les lieux en gare fantôme. «Hugo Pratt a séjourné ici il y a une quinzaine d'années», raconte madame Kiki, la propriétaire octogénaire, d'origine grecque. «Je m'en souviens car il avait insisté pour avoir la suite présidentielle, dans laquelle avait dormi l'empereur Hailé Sélassié. Il faisait des dessins de la gare.» Le lendemain, au lever du soleil, nous retrouvons notre voiture où nous l'avions laissée. Mais ses gardiens sont désormais au nombre de sept. Trois d'entre eux exhibent leurs fusils. Nous leur proposons des cigarettes. «Nous ne fumons pas», répond leur chef. Des biscuits? «Nous ne mangeons que ce que nous connaissons.» Ils réclament de l'argent. Les mécaniciens qui nous accompagnent commencent à négocier en langue oromo. Le ton monte. «Salam!» crie le plus jeune, tout en poussant notre interprète aux épaules. Il faut sortir des billets! Une fois payés - l'équivalent d'un mois de salaire moyen -, les Oromos regagnent la route, sans un mot. «Si nous n'acceptions pas, ils nous tuaient sans hésiter», assure Getaoun, avant de conclure: «Ici, avec une arme à feu, tu as le pouvoir, donc l'argent.» Pour parvenir à Dirédaoua, il faut franchir de hautes montagnes où se cultivent le café et le qat. Les villages sont composés de maisons de terre au toit de tôle ou de simples paillotes. Les femmes portent d'éclatantes tuniques vertes, rouges ou bleues. A sept heures de route de la capitale, la deuxième cité du pays fut construite en 1885 autour d'une importante gare. On doit, paraît-il, à Rimbaud l'idée du tracé de la voie ferrée, celle-ci ne pouvant pas passer par Harar à cause du relief. De style méditerranéen, la ville aux murs colorés mélange les ethnies: Amharas, Oromos, Somalis... On y circule en bajaj, sorte de tuk-tuk importé d'Inde. Diffusés par haut-parleurs, les prêches des églises orthodoxes rivalisent en volume sonore avec l'appel à la prière du muezzin.

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    L'ancien directeur de la poste, Kabou, nous présente Alemayihu, responsable du bureau culturel et historien passionné par Henry de Monfreid, qui vécut de 1923 à 1938 à Dirédaoua: «Après avoir vendu douze tonnes de haschisch, Monfreid a investi dans la construction d'une usine électrique. C'était peut-être aussi un entrepôt d'esclaves car on a retrouvé des anneaux d'acier scellés dans les murs de la cave...» L'intellectuel éthiopien nous fait visiter l'immense bâtiment de pierre, de style colonial, aujourd'hui à l'abandon. Un obus a emporté un pan de mur lors de la guerre avec la Somalie: «Pour les habitants, la maison est hantée...» Elle l'est pour d'autres raisons: Hugo Pratt y a rencontré Henry de Monfreid, une connaissance de son père, quand il avait onze ans. Est-ce pour cela que Corto Maltese a la silhouette de l'aventurier français devenu écrivain? Il a aussi l'ironie de Rimbaud. Et la nostalgie d'Hugo Pratt. Ce dernier est involontairement retourné à Dirédaoua en 1942, quand son père fut arrêté par les Britanniques, qui venaient de libérer Addis-Abeba. L'adolescent se retrouve dans un camp de prisonniers, en compagnie de sa mère. La petite prison, construite par les Italiens, se trouve désormais dans les jardins d'un lycée. On l'a transformée en bibliothèque, pied de nez de l'histoire qui aurait plu à Hugo. Un autre hasard l'aurait amusé: selon Alemayihu, Monfreid, accusé de trafic d'armes par les Anglais, fut lui-même emprisonné ici, avant d'être envoyé au Kenya. L'historien nous apprend que l'auteur des Secrets de la mer rouge avait également un bungalow à Arowe, sur les hauteurs de Harar.

    Pour boucler cet itinéraire éthiopien, il faut donc se rendre dans la cité mythique découverte par l'explorateur Richard Burton, traducteur des Mille et une nuits. A deux heures de route de Dirédaoua, Harar est une ville fortifiée dans laquelle on pénètre en empruntant une porte. Les étroites rues de terre aux murs de pierre plongent le voyageur dans une atmosphère médiévale, proche de la cour des miracles. Etape obligatoire, la «Maison de Rimbaud» est un palais de bois construit par un négociant indien à l'emplacement où vivait le poète, mais dans une cahute de terre et de branchages. En contrebas de la ville, nous visitons le cimetière européen, à la recherche de la tombe de Rolando Pratt, sur l'emplacement de laquelle des doutes subsistent. Le père d'Hugo décéda d'un cancer du foie en 1942, sur la route de Dirédaoua à Harar. Sur ce même trajet, Rimbaud tomba de cheval, accident à l'origine de son amputation, puis de sa mort. Le gardien du cimetière, Leonis, travaille ici depuis quarante-trois ans: «Il reste une seule tombe de soldat italien», affirme-t-il, en désignant un monticule de terre et de cailloux surmonté d'une croix, sans nom ni plaque. «Rolando ne peut être qu'ici. Les autres dépouilles ont été rapatriées par les autorités italiennes en 1974.» Hugo Pratt avait tenu à ce que son père continue de reposer à Harar et prétendait avoir retrouvé sa sépulture dans le cimetière musulman de la ville. Mais ses héritiers n'ont jamais réussi à la localiser. A-t-il brouillé les pistes ou le gardien se trompe-t-il? Il faudrait exhumer la bouteille de verre dans laquelle doivent figurer un matricule et une date. «Chaque pierre d'Ethiopie cache un mystère», disait Pratt.

    Sur la route des Scorpions
    Pour mieux comprendre la mythologie personnelle d'Hugo Pratt, poursuivons le voyage à Djibouti. Son ancien nom, «Territoire des Afars et des Issas», correspondait plus à la réalité: les uns viennent d'Ethiopie, les autres de Somalie. «C'est à Djibouti que l'on rencontre le plus de Danakils (pluriel de Dankali), ancien nom des Afars, qui proviennent d'une région à la frontière de l'Ethiopie et de l'Erythrée», explique Jean-Claude Guilbert.

    Les paysages volcaniques djiboutiens annoncent le «désert des déserts» de la péninsule arabique. On y mange yéménite et la présence française évoque l'Algérie saharienne. Mais la plaque de la place Rimbaud a disparu après l'indépendance... Une route rongée par le sel des caravanes mène de la capitale au lac Assal, point le plus bas d'Afrique (153 mètres en dessous du niveau de la mer). «Avant la guerre de 1991, cinq cents caravaniers partaient chaque jour d'ici, pour gagner la frontière éthiopienne, à trois jours de chameau», raconte Houmed, un guide afar. Henry de Monfreid empruntait régulièrement cette piste, ses cargaisons d'armes cachées sous du sel. Joseph Kessel et Albert Londres, qui enquêtaient sur les trafiquants d'esclaves, se sont rendus ici. Hugo Pratt a accompli le pèlerinage en compagnie de son ami Guilbert, quelques années avant de disparaître. Plus à l'est, le petit port de Tadjoura, longtemps relié à Zanzibar et à Aden, conserve le souvenir de Rimbaud: une association financée par Jean-François Deniau a reconstruit la maison du poète, qui y attendit un an le roi Ménélik, auquel il destinait des fusils. A l'entrée de la ville, une auberge a pris le nom de Corto Maltese. Ahmed Ali, l'un des propriétaires, en a eu l'idée après avoir rencontré Hugo Pratt: «Il a séjourné ici en 1991. Il aimait sortir en mer sur un boutre et faisait beaucoup de dessins. Il nous a marqués car il parlait plusieurs langues: français, anglais, arabe, amharique. Il connaissait même des mots d'afar! Pour me remercier de l'avoir aidé à se rendre à Obock (ville où résida Monfreid, plus au nord le long de la côte, NDLR), il m'a offert un album des Scorpions du désert...»

    Rendus célèbres par la série de Pratt, les Scorpions du désert, ces commandos militaires, surveillaient les frontières il y a encore quelques années, avant d'être remplacés par les Forces d'assaut djiboutiennes. Le guide afar nous emmène à leur rencontre, bien que les postes frontières soient interdits d'accès. En route, Humed détaille quelques coutumes des nomades afars, donc danakils: «On lime encore les dents des enfants avec une pierre. A quinze ans, on apprend à égorger un dromadaire. Mais sa viande est réservée aux hommes.» Après la traversée en 4 x 4 du désert du Grand Bara, où s'entraîne la Légion étrangère, voici le poste d'Assamo, qui surveille la frontière éthiopienne. Construit par les Français dans les années 1950, au sommet d'une colline, il correspond précisément au fort Bastiani décrit par Dino Buzzati dans Le désert des Tartares. Assamo a peut-être inspiré le grand écrivain italien, qui fut correspondant de presse à Djibouti. A moins que ce ne soit le poste de Guistir, à trois heures de route d'ici, dans un paysage de basalte. Sa situation, aux trois frontières (il faut y ajouter celle avec la Somalie), fascinait Hugo Pratt. Nous parvenons à photographier le fort discrètement, surveillés par une sentinelle du haut de la tour. Mais, une heure plus tard, nous voici arrêtés par un caporal des Forces d'assaut. Il nous conduit au poste d'Ali Adé pour un interrogatoire. Notre chauffeur plaidera pendant deux heures la cause du touriste perdu dans le désert. Sur la route du retour, au moment où le soleil se couche, on peut enfin apercevoir l'image que l'on venait chercher: la silhouette gracile d'un Dankali, un bâton de berger négligemment posé derrière la nuque et maintenu dans le creux des coudes. Exactement dans l'attitude de Cush.


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  • Catégories : CE QUE J'AIME. DES PAYSAGES, La littérature, Saint-Tropez

    Régnier est mort, vive Régnier !

    Publié le 03 mai 2007

    Actualisé le 03 mai 2007 : 11h21
    Henri de Régnier, qui a occupé cette même place de feuilletoniste dans Le Figaro, est né en 1864 et mort en 1936, année qui n'était pas son genre. Cet homme mélancolique à longue tête de cheval représentait un type d'écrivain aujourd'hui disparu : aristocrate, académicien français, filiation Vigny. Dans le Journal d'un poète, Vigny dit à propos d'un autre ceci qui pourrait s'appliquer à lui : « Il avait un assez noble profil, des formes polies et gracieuses, il était homme du monde et homme de lettres, alliance rare, assemblage exquis. »
    Avant la mondanité, Régnier avait eu du talent. Il avait débuté, en écrivain sérieux et comme presque tout le monde en 1880, par la poésie. De la première génération symboliste, il faisait partie de la branche mallarméenne, l'autre étant la verlainienne, c'est-à-dire, je crois, la « décadente ». Bon poète, d'ailleurs, plein de beaux vers (« La dégradation douce d'un crépuscule »), à la prosodie discrètement savante, comme le beau « Si j'ai parlé... » qui pourrait être aussi célèbre que le « Qui j'ose aimer » de Musset. En prose, trop poli pour être un génie, Régnier pouvait être la fadeur même. La première partie du livre que l'on réédite le montre : Escales en Méditerranée est tout en périphrases, esquives pour ne pas dire grand-chose, souvenirs vaporeux. C'est comme s'il n'avait éprouvé aucune sensation. Pourtant, l'un des premiers livres peut-être à contenir le mot « yacht » (pas les yachts genre Saint-Tropez, les yachts genre Standart de Nicolas II), il aurait pu être original, ethnologique et curieux. Il y aurait peut-être fallu de la fiction.

    À la suite d'Escales en Méditerranée se trouve Donc..., avec les points de suspension, titre assez Guitry, trente pages de maximes qui en rendent l'achat indispensable. C'est un chef-d'oeuvre. Régnier ose y avoir la dent dure. Il se dissimule avec courtoisie derrière un « il » que nous pouvons remplacer par un « je ». « En parlant d'un mariage possible de M. H... et de Mme D..., il disait : »Ce serait répugnant, mais raisonnable.» » Il fait des observations sur le monde lui aussi disparu des vieilles nobles irascibles, et nous avons l'impression d'observer des perroquets oubliés dans une grande cage au fond d'un zoo sans visiteurs. Ainsi, celle qui déclare, d'un air digne et péremptoire : « Mon père, le marquis de B... - homme d'infiniment d'esprit -, disait qu'il faut se couper les ongles des pieds au carré. » Le relever est une forme d'humour qui a disparu avec la classe sociale qui engendrait cette sottise, chacune a la sienne, et, sans Régnier (et Proust), ces phrases nous sembleraient aussi opaques que des cartouches de hiéroglyphes. Cette classe avait aussi sa fantaisie : Régnier rapporte que, dans la forêt de Chantilly, restaient des bornes marquées d'une fleur de lis que le duc d'Aumale saluait toujours d'un coup de chapeau. Les hommes sont fous. C'est ce qui les rend supportables.
    Il faut un être aussi social que Régnier pour observer que « le renom d'habileté vient souvent de maladresses dont on a su tirer parti ». On dirait qu'il parle de Mitterrand. L'autre côté de la satire, c'est souvent la mélancolie. Pour Régnier, les feuilles d'automne semblent tomber « par fatalité ». C'est un tempérament à la Chamfort, désabusé par la férocité des hommes. « Le rêve secret de l'amitié est que nous puissions compter sur nos amis sans qu'ils aient le droit de faire fond sur nous. » Ce n'est pas parce qu'on le dit qu'on l'est, et Régnier rapporte avec admiration des propos de son défunt dieu Mallarmé. Il a eu envers lui une amitié immuable qui est la part vraiment noble de sa personnalité. Il croyait plus aux poètes qu'aux princes.
    Escales en Méditerranée d'Henri de Régnier Buchet-Chastel, 256 p., 16 € .

  • Catégories : La littérature

    Dumas, l'éternel

    AGNÈS SÉVERIN.
     Publié le 19 avril 2007
    Actualisé le 19 avril 2007 : 11h45

    Grâce au travail passionné de Claude Schopp, le père des « Mousquetaires » séduit encore de nombreux lecteurs.

    2007 SERA encore l’année Dumas. Le 27 avril, Les Frères corses sortiront en Folio, préfacés par Claude Schopp. En 2005, l’universitaire avait propulsé Dumas sur la liste des best-sellers, avec un inédit, Le Chevalier de Saint-Hermine, vendu à 75 000 exemplaires (Phébus). L’éditeur avait déjà remis au goût du jour sept titres depuis Le Grand Dictionnaire de cuisine en 2000. Après Les Blancs et les Bleus et Les Compagnons de Jéhu, (12 000 et 8 000 exemplaires l’an dernier), la
    trilogie de Saint-Hermine se refermera le 5 juin prochain avec Le Salut de l’Empire. Un nouvel inédit signé Dumas (avec le nègre Claude Schopp) à partir d’un plan de l’auteur et de six chapitres retrouvés. Face à ce travail de reconnaissance, la guerre des réimpressions fait rage, chez
    France-Empire, Alteredit, aux Belles Lettres et à L’Aube, qui publie deux titres en juin (1). Du
    meilleur, La Tulipe noire chez Motifs ou Le Véloce chez Palimpseste, àUn pays inconnu chez Pollagoras… auquel Dumas n’a même pas contribué. Valeurs sûres, les Pléiade des Trois Mousquetaires et du Comte de Monte- Cristo, ont respectivement été vendues 43 000 et 44 000 exemplaires. La San-Felicea conquis 28 000 lecteurs en Quarto. Succès encore, en Folio, pour Le Collier de velours, Les Mille et Un Fantômes et Le Chevalier de Maison- Rouge. 

    (1) «Othon l’Archer», 160 p., 5,80 €, et «Le Fils du forçat», 272 p., 7,60 €.
  • Catégories : Des expositions, La littérature

    Beckett les mots mis à nu

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    www.parisbeckett.com

    A Beaubourg, une exposition claire et dynamique sur l'univers de l'auteur d'«En attendant Godot».
    Par LANÇON Philippe
    QUOTIDIEN : mercredi 21 mars 2007
    Samuel Beckett Centre Georges-Pompidou, Paris IVe. Jusqu'au 25 juin.

    Des mots qui la ferment, c'est rare. Ceux de Samuel Beckett ont cette élégance-là. Ils s'effacent eux-mêmes. Quand ils disent : «Je vais le leur arranger, leur charabia» (citation avant l'entrée, écrite au mur, exposée bilingue comme toutes, mi-noir mi-gris), c'est d'eux-mêmes qu'ils parlent. Ils sont là parce qu'ils ne peuvent pas ne pas y être. Ils mériteraient de n'y être pas. Ils le savent, le portent. Ils jaillissent, se regrettent, s'étranglent. En somme, ils meurent vivants, au comptoir, verre au pied, après la fin du monde. Qui a le culot d'être toujours là.

    Beau et raté.

    Comment montrer ça ? Donner à voir cette extinction ? Célébrer la cérémonie sans cérémonie ? L'exposition que consacre à l'auteur de Molloy le centre Pompidou s'y essaie. C'est beau. C'est clair. C'est réussi. Donc c'est raté. Au sens où l'écrivait Beckett : «Essayer encore. Rater encore. Rater mieux.» La citation est inscrite sur un mur, section oeil. Elle est aussi au dos du catalogue intitulé Objet . Une lettre inédite y donne le sens du combat que l'itinéraire va montrer : «Espérons que viendra le temps [...] où le langage sera utilisé au mieux là où il est malmené avec le plus d'efficacité. Comme nous ne pouvons pas le supprimer d'un seul coup, tâchons au moins de le discréditer.» La lettre est écrite en 1937, après un long voyage en Allemagne. L'horreur s'annonce. Beckett a compris avant. Le langage précède l'événement. Le ton suit. Le ton est en vitrine, parmi manuscrits et tapuscrits. Par exemple, dans cette lettre à Roger Blin, premier metteur en scène d' En attendant Godot : «L'esprit de la pièce, dans la mesure où elle en a, c'est que rien n'est plus grotesque que le tragique, et il faut l'exprimer jusqu'à la fin, surtout à la fin.» L'exposition n'est pas grotesque. Les musées ne sont pas faits pour ça. Mais elle le fait sentir, remonter du sérieux. Les musées servent parfois les sentiments qu'ils n'ont pas.

    Champ d'onomatopées.

    Huit espaces rythment le chemin, de la voix au vide. Ils sont baptisés au couperet : Voix, Restes, Truc, Scènes, oeil, Cube, Bram, Noir. Beckett est l'oiseau qui chante bref, un échassier posé sur un champ de ruines et d'onomatopées. Il a dessiné un volatile qui lui ressemble peut-être, mi-oiseau de feu, mi-oiseau de farce, posé sur un perchoir dans le blanc à petits carreaux. C'est le cahier autographe de Mercier et Camier (1946).
    On entre par Voix. Dans un couloir à néons, projetée sur le mur, une bouche parle. Elle dit, en anglais, Not I («Pas moi»), un texte de 1989. Un murmure de l'acteur Michael Lonsdale enveloppe l'antichambre. En vis-à-vis, dans le dos, le négatif agrandi d'une photo de livres en rayon. Chambre noire, bibliothèque, caverne vocale, oraison de nuit et brouillard. La bouche ? «Un organe d'émission sans intellect», dit plus loin une actrice interviewée. Pour jouer Beckett, ajoute-t-elle, «il faut se déposséder, se vider de soi, de sentiments». Pour le découvrir aussi : l'exposition y aide. Restes est une salle en long, sans régularité. Des tableaux, des films underground, des manuscrits au centre de la pièce, souvent illisibles : chambre d'échos. L'image est une expérience qui épuise l'image comme le mot éteint le mot. Un néon rouge de Jean-Michel Alberola dessine cette parole : Rien. Au mur, ceci : «D'abord le corps. Non. D'abord le lieu. Non. D'abord les deux.» Cap au Pire, 1991. C'est le pays des vanités. Scènes, l'espace suivant, montre le théâtre. Le long d'un mur, des extraits de pièces. Voici Comédie, filmé en 2001, par Anthony Minghella pour la BBC : trois acteurs aux visages couverts de boue, dont Kristin Scott Thomas, plongés chacun dans une amphore. Ils récitent en anglais, à grande allure. Le champ s'élargit : un arbre mort, d'autres amphores pleines, un paysage dévasté. Les ruines elles-mêmes ont quitté Pompéi. Reste ça, des bouts de corps et un peu de langage. Dit comme si tout ce qui doit l'être était ­ presque ­ indicible. Plus loin, face aux photos de Beckett contrôlant sans fin le respect des didascalies de ses pièces d'un bout à l'autre du monde, quelques extraits fameux d 'En attendant Godot , d' Oh les beaux jours . Madeleine Renaud, Winnie d' Oh les beaux jours en 1963, parle bref, plantée en terre. Devant, sous vitrine fétiche, le sac en cuir et les accessoires que l'actrice en sortait peu à peu. Penchez-vous : le bâton de baume à lèvres était à l'huile de jojoba. Les objets sont des mots, les mots sont des objets. Geneviève Serreau, interviewée en 1968, se souvient du public des premières représentations d' En attendant Godot , quinze ans plus tôt : «C'étaient les visons qui partaient les premiers.» La pièce eut du succès. Beckett dit : «J'ai dû faire des concessions au public. Je n'en ferai plus.»

    Tapis biographique.

    Section oeil, cinéma (lire ci-contre). Filmés en vidéo, des écrivains parlent de l'auteur, de l'homme. Ils sont intimidés, chaleureux, simplifiés par celui dont ils parlent. Raymond Federman, souriant : «Les textes de Beckett disent ce qu'ils disent : "Qu'est-ce que je fous ici en train de faire ce que je fais ?" Il faut tenir le coup, chez Beckett. Il faut tenir le coup malgré tout.» En riant comme on boit, sec. Voilà l'espace Truc : tableaux, lettres, photos, présence des anciens, Joyce avant tout. Truc : une mine, le tapis biographique d'un homme qui a beaucoup lu, beaucoup su, beaucoup voyagé, beaucoup combattu (dans la Résistance), avant de faire le vide. Truc ? «Ce truc qu'on appelle ma vie.» Plus on avance, plus ça tourne en absurdie. Au mur, dans l'espace Cube, ceci : «Va donc pour la monotonie. C'est plus stimulant.» Bram, c'est Bram Van Velde, le peintre, l'ami, l'homme qui peint malgré comme Beckett écrit malgré. Lettre à Bram, 14 janvier 1949 : «Vous résistez en artiste, à tout ce qui vous empêche d'oeuvrer, fût-ce à l'évidence même. C'est admirable. Moi je cherche le moyen de capituler sans me taire ­ tout à fait.» Dernière salle, derniers tableaux, dernière bande : Noir. Des oeuvres de Richard Serra, de Bram encore, de Tal Coat. La voix de Beckett sort du mur, lisant Lessness : un manque intraduisible. Federman : «Il aimait les préfixes, les suffixes.» Leurs contradictions, leurs impossibilités avouées. Avec le moins de syllabes possible entre les deux. Cloison, chute et fin.

    http://www.liberation.fr/culture/242289.FR.php


    Et jusqu'à juin 2007, pour célébrer le 100 e anniversaire de la naissance de Beckett, le Festival Paris Beckett: http://www.parisbeckett.com/

  • Catégories : Des expositions, La littérature

    Homère, sur les traces d’Ulysse à la BNF du 21 novembre 2006 au 27 mai 2007

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    Bibliothèque nationale de France – site François-Mitterrand
    Quai François-Mauriac – Paris XIIIe
    Métro : Bibliothèque – Quai de la Gare
    Renseignements : 01 53 79 59 59

    Du mardi au samedi de 10h à 19h, le dimanche de 12h à 19h
    Fermeture lundi et jours fériés
    Entrée : 5€ , tarif réduit : 3€ 50

    Publication

    Homère, sur les traces d’Ulysse
    Sous la direction d’Olivier Estiez, Patrick Morantin et Mathilde Jamain
    176 pages et environ 120 illustrations. 38 €

    Pour en savoir plus, le site de la BNF:http://expositions.bnf.fr/homere/index.htm

  • La Grèce des modernes : l'impression d'un voyage, les artistes, les écrivains et la Grèce (1933-1968)

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    Exposition du 20 janvier 2007 au 22 avril 2007




    Médiathèque Jean Lévy




    32/34 rue Edouard Delesalle




    59000 Lille


    Dans les années 1930, le visage de la Grèce se régénère. Les répercussions qui sont alors nombreuses entre arts décoratifs et arts plastiques, entre écriture et illustration, entre pittoresque et dépaysement ont forcé les artistes à repenser l’illustration des classiques et à définir une grécité qui échappe au classicisme et aux récupérations réactionnaires.

    Les principaux artistes modernes (Braque, Hayter, Laurens, Le Corbusier, Masson, Matisse, Picasso, Springer, Zadkine…) défendent et maintiennent une certaine image de la Grèce, éclairée ou vivante, complexe et solaire à travers l’illustration de textes fondateurs ou de véritables manifestes sur l’art de vivre et de penser un retour éclairé aux sources.

    L’exposition offre l’occasion d’appréhender un milieu éditorial marqué, pour différentes raisons, par la Grèce. Aux figures de Christian Zervos de la revue Cahiers d’art et de la galerie éponyme s’ajoute celle de Tériade, d’origine grecque également, directeur de la revue Verve et éditeurs de grands livres ou encore de Hercule Joannidès Zélateur discret de la revue le voyage en Grèce qui voulait « créer un lien entre la Grèce et ses voyageurs par l’intermédiaire des écrivains, des artistes et des savants contemporains ».

    L’exposition articulera livres illustrés, estampes originales et dessins mais aussi manuscrits enluminés et éditions rares conservés dans le fonds de la Bibliothèque Municipale de Lille afin de rendre perceptible, dans le temps, les différentes interprétations et d’éprouver la pérennité de cette référence au prisme de son actualisation et de ses instrumentalisations.

    Les sections seront toutes accompagnées par des revues (L’Esprit Nouveau, Cahiers d’art, Minotaure, Verve, Le Voyage en Grèce…) conçues comme un véritable« atelier » où s’élaborent autant l’esprit de la Grèce moderne que son imaginaire. Une importante documentation iconographique, photographique et littéraire sera également présentée dans leur relation avec l’estampe et l’image imprimée.



    Un catalogue de 160 pages / 120 illustrations en couleurs est édité par De Gourcuff à cette occasion.



    Visites guidées, colloque, conférences et activités pédagogiques seront proposés autour de l’exposition.



    L’exposition est co-réalisée par le Musée d’art moderne de Lille Métropole et la Bibliothèque Municipale de Lille dans le cadre de l’opération Feuille à Feuille. Estampe et images imprimées dans les collections des musées du Nord - Pas de Calais, labellisée exposition d’intérêt national par le ministère de la Culture et de la Communication, Direction des Musées de France.



    Entrée libre du mardi au samedi de 12h00 à 18h45

    Ouverture exceptionnelle les dimanches 4 février, 4 mars, 1er et 22 avril de 14h00 à 18h45




    Renseignements :

    Médiathèque Jean Lévy Tel : 03 20 15 97 20

    Musée d’art moderne de Lille Métropole :
    http://www.mamlm.fr/







    Url de référence : http://www.bm-lille.fr/bmlille/bmlille.php?rub=44

    http://www.fabula.org/actualites/article17769.php

  • Catégories : Bettina Brentano, Des femmes comme je les aime, La littérature

    Bettina Brentano et CAROLINE DE GUNDERODE

     

    « Ce qu'on appelle le monde réel, dans lequel les hommes prétendent vivre... »

     

    Caroline von Günderode I780-1806)

     

     Il te faut redescendre, disait-elle à Bettina Brentano, dans le jardin enchanté de ton imagination, ou plutôt de la vérité, qui se reflète dans l’imagination. Le génie se sert de l’imagination pour rendre sensible par la forme ce qui est divin et ce que l’esprit de l’homme ne saurait comprendre à l’état idéal. Oui, tu n’auras d’autres plaisirs dans ta vie que ceux que se promettent les enfants par l’idée de grottes enchantées et de fontaines profondes. Quand on a traversé ces murailles, on trouve des jardins fleuris, des fruits merveilleux, des palais de cristal, où résonne une musique jusqu'alors inconnue, où les rayons du soleil forment des ponts par lesquels on arrive jusqu'au centre de l'astre. Ce qui est écrit dans ces compositions deviendra pour toi une clef avec laquelle tu ouvriras peut-être des royaumes inconnus. C'est pourquoi n'en perds rien, et ne te défends pas de l'envie d'écrire; mais apprends à penser avec douleur, car sans cela jamais le génie ne naît à la vie de l'esprit; quand il se sera fait verbe en toi, tu jouiras de l'inspiration."»

    « Beaucoup apprendre, beaucoup comprendre par l’esprit, et mourir jeune ! Je ne peux pas voir la jeunesse m’abandonner », disait-elle encore.

    Bettina Brentano à Caroline Von Günderode :

    « Vis, jeune Günderode, ta jeunesse, c'est la jeunesse du jour, l'heure de minuit la fortifie, les étoiles te parlent et te promettent que si tu élèves vers elles ton esprit elles se lèveront en choeur, brûlantes de joie, et accompagneront de leur chant enflammé l'entrée de la nouvelle année... ... N'abandonne pas les tiens, ni moi avec eux. Aie foi dans ton génie, afin qu'il grandisse en toi et règne sur ton coeur et ton âme. Et pourquoi désespèrerais-tu?... Comment peux-tu pleurer ta jeunesse? Je ne peux pas supporter tes divagations sur la vie et la mort... ».

    http://jm.saliege.com/bettina.htm

  • Catégories : Novalis(Friedrich Leopold, Freiherr von Hardenberg

    Novalis, "Hymnes à la nuit, I"

    Est-il quelque être vivant, de sens doué, qui ne chérisse avant toutes les apparitions magiques de l’espace autour de lui largement éployé, la toute réjouissante lumière, avec ses couleurs, ses rayons et ses ondes, et sa douce omniprésence, le jour donneur d’éveil ? Elle est comme l’âme très profonde de la vie, que respire le monde immense des constellations infatigables – et il se plonge et danse dans son torrent d’azur ; c’est elle que respire la roche étincelant dans son éternel repos, et la plante qui médite et qui puise, et l’animal multiforme, ardent, sauvage – mais plus que tout autre encore, le royal Étranger au regard plein de pensée, au pas léger, avec ses lèvres doucement closes, riches de musique. Pareille à une reine de la terrestre nature, elle appelle toute puissance à d’infinies métamorphoses, elle noue et délie d’innombrables liens ; sa divine image autour de chaque existence terrestre se suspend. Elle n’a qu’à paraître, et les empires du monde découvrent leur magique splendeur.

          Mais moi je me tourne vers la Nuit sacrée, l’ineffable, la mystérieuse Nuit. Là-bas gît le monde, au creux d’un profond sépulcre enseveli – vide et solitaire est sa place. Aux cordes du cœur bruit la profonde mélancolie. Que je tombe en gouttes de rosée, que je m’unisse à la cendre ! Lointains du souvenir, vœux de la jeunesse, rêves de l’enfance, de toute une longue vie l’inutile espérance et les brèves joies se lèvent dans leurs vêtements gris, pareils à la brume du soir quand le soleil s’est couché. Ailleurs, dans d’autres espaces, la lumière a déployé ses tentes d’allégresse. Pourrait-elle ne retourner jamais vers ses fils qui l’attendent avec la foi de l’innocence ?

         Qu’est-ce donc tout à coup, dans le tréfonds du cœur, qui sourd mystérieusement et dissipe la molle atmosphère de tristesse ? Trouverais-tu toi aussi quelque joie en nous, sombre Nuit ? Que tiens-tu sous ton manteau qui pénètre jusqu’à mon âme avec une souveraine puissance ? Précieux est le baume qui, des pavots en gerbe issu, coule de ta main goutte à goutte ! Les lourdes ailes de l’âme, c’est toi qui délivres leur essor. Obscurément, indiciblement nous nous sentons touchés ; tout saisi de peur et de joie, je vois un visage plein de gravité qui doucement, pieusement sur moi se penche, et sous les boucles à l’infini mêlées, me dévoile la chère jeunesse de la Mère.

          Ah ! que la lumière maintenant me paraît pauvre et puérile, que joyeux et béni le départ du jour ! Ainsi, c’est seulement parce que la Nuit éloigne de toi tes fidèles, que tu semas aux profondeurs de l’espace les sphères étincelantes, pour annoncer ta toute-puissance et ton retour – au temps de ton absence ? Ah ! plus divins que toutes les étoiles éclatantes nous paraissent les yeux sans nombre que la Nuit fit s’ouvrir en nous ! Ils voient plus loin que les plus pâles d’entre ces légions infinies. Sans le secours de la lumière, leur regard traverse les profondeurs d’une âme aimante, comblant les régions suprêmes de l’espace d’une indicible volupté. Louange à la Reine du monde, à la haute annonciatrice des mondes sacrés, à la gardienne du bienheureux amour ! C’est vers moi qu’elle t’envoie – tendre bien-aimée – cher soleil de la Nuit – maintenant je veille, car je suis tien et mien – tu m’as révélé la Nuit : ma vie – tu m’as fait homme – brûle mon corps au feu spirituel, que devenu léger comme l’air à toi plus profondément je m’unisse et que notre nuit nuptiale dure l’éternité !

    http://jm.saliege.com/roud2.htm

  • Catégories : La littérature

    Jean Genet, un captif amoureux

    par Baptiste Liger
    Lire, octobre 2006

     Dans l'œuvre de Genet, son homosexualité est exposée avec sensualité et crudité.

    Il serait culotté de résumer l'écriture de Jean Genet au titre de son unique incursion cinématographique: Un chant d'amour. Pourtant, derrière la violence, la rébellion et l'évocation des parias, l'auteur des Bonnes n'a peut-être rien chanté d'autre. Dans ce film mythique, Genet nous met à la place d'un gardien de prison, voyeur, épiant deux détenus, face à leur désir, et dont les mouvements sont autant de pulsions sexuelles. Cru dans son regard sur les corps, le septième art a permis à Genet d'expliciter sans fard ses goûts amoureux, largement présents dans ses pièces, poèmes ou romans. Gosse de l'Assistance né en 1910, il grandit dans une famille du Morvan et, très jeune, se prend de passion pour le vol et la gent masculine, que ce soit pour ses jeunes camarades d'école - Louis Cullafroy, évoqué dans Notre-Dame-des-Fleurs, et le dénommé Querelle - ou de solides gaillards égarés. Elève (presque) modèle, il connaît la compagnie des hommes dans les geôles, qu'il fréquente dès l'âge de quinze ans suite à des fugues et différents larcins. Son expérience à la colonie pénitentiaire agricole de Mettray, où il reste jusqu'en 1928, est déterminante pour sa sexualité, sa passion pour les rapports de domination et de soumission via la captivité.

    Aussitôt sorti, Genet s'engage dans la Légion étrangère, afin d'être dans un milieu viril et de voyager en Orient. Mais l'envie de fugue et de vol est trop forte: il ne cesse de déserter et de chiper (des livres, souvent), se fait condamner - une quête inconsciente de punition? - avant de parcourir l'Europe. Alors qu'il est incarcéré à Paris, en 1942, il publie son poème Le condamné à mort, puis ses romans Notre-Dame-des-Fleurs et Miracle de la rose. Cocteau, qui n'est pas insensible à l'homo-érotisme de cette prose à la fois brute et lyrique, l'aide à être libéré en 1944. Si on évoque souvent la férocité de la critique sociale, l'œuvre à venir est obsédée par cette homosexualité allégorique - songez à ce fait en relisant Les bonnes - ou bien plus explicite. Sous couvert de critique de la discrimination pour couleur de peau, sa sulfureuse pièce Les Nègres distille un évident désir pour les éphèbes à peau d'ébène. Le soutien de Genet aux Black Panthers ne serait-il pas influencé par cette attirance? Et l'amour? Genet s'entiche en 1955 du jongleur Abdallah Bentaga, qui se suicide neuf ans plus tard, après que Genet l'a quitté. L'écrivain jure alors qu'il n'écrira plus. Enième fugue, il ne tiendra pas cette promesse.

    http://www.lire.fr/enquete.asp/idC=50487/idR=200

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