. Meitinger
Véronique Léonard-Roques, Caïn, figure de la modernité (Conrad, Unamuno, Hesse, Steinbeck, Butor, Tournier), Paris, Honoré Champion, "Bibliothèque de Littérature générale et comparée" vol. 35, 2003.
Un fratricide au principe d'une culture, d'une civilisation voire de la culture, de la civilisation ? C'est la question que pose le mythe de Caïn et que tentent de résoudre ou du moins d'apaiser, de canaliser vers des solutions et des raisons humaines acceptables, compréhensibles, de nombreuses oeuvres littéraires et artistiques au fil des siècles. Le XIXe siècle a entrepris, en bonne part sous l'influence du premier romantisme, de réhabiliter Caïn en faisant de lui un incompris et un paria que le Dieu créateur a, de par une préférence arbitraire, d'emblée affligé, constitué en bouc émissaire et qui affirme par son crime sa liberté et sa dignité. Le XXe siècle, plus nuancé, ne retire rien à la brutalité du héros mais, tout en mitigeant également sa culpabilité, explique mieux ce qui le lie à Abel et fait parfois des deux frères les deux faces opposables et complémentaires d'une seule et même personnalité peut-être réversible. Baudelaire et Leconte de Lisle, après Byron, avaient exalté Caïn comme la figure même de la révolte contre l'arbitraire divin et facilement assimilé Abel à la pleutrerie et au conformisme bourgeois. Hugo avait déjà fait du destin de Caïn le moment d'introduction de la conscience en l'humanité et comme le point initial de l'introspection. Les auteurs abordés dans cette étude de littérature comparée balancent mieux qualités et reproches, unissent plus qu'ils ne disjoignent, dialectisent souvent et rendent tout partage plus délicat, plus subtil, plus angoissant également : "À travers les représentations de ces Caïn du XXe siècle se lit l'acceptation de la fécondité des ambiguïtés, la reconnaissance de la part nocturne mais positive du moi" (p. 18).
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