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Messmer

  • Catégories : L'actualité

    Messmer, le légionnaire du gaullisme

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    Depuis 1989, il s'était éloigné du devant de la scène politique. Il s'était alors tourné vers son propre passé, rédigeant un ouvrage de souvenirs, Après tant de batailles.
    Archambault/Figaro.
    PIERRE PELLISSIER.
     Publié le 30 août 2007
    Actualisé le 30 août 2007 : 07h28

    Premier ministre de 1972 à 1974, Pierre Messmer, mort hier à 91 ans, était un gaulliste de la première heure, une figure de la France libre et un des plus ardents défenseurs de l'oeuvre du fondateur de la Ve République.

    IL AVAIT eu un parcours politique hors du commun. Peut-être parce qu'il n'était pas vraiment un homme du sérail et qu'il n'a jamais eu envie de se glisser dans le moule commun et réducteur. Peut-être parce que les circonstances et plus encore les hommes, naturellement poussés aux simplifications, l'avaient habillé d'une autre réputation, celle de l'éternel baroudeur. Pour beaucoup, chez les uns par dérision ou provocation, chez les autres par admiration, Pierre Messmer n'était donc que le « légionnaire » ; évidente injustice consistant à privilégier un seul aspect des carrières d'un homme qui avait su tenir son rang en bien d'autres circonstances.
    Car Pierre Messmer, aux apparences monolithiques, était multiple et complexe. Peut-être même secrètement amusé de ce portrait de lui frisant la caricature, mais qu'il assumait pourtant, avec une lueur égayée au fond d'un regard bleu qui n'était glacial que pour ceux qui se laissaient intimider.
    Avant de surgir, très tardivement, sur le devant de la scène, Pierre Messmer s'était effectivement distingué dans d'autres domaines, là où il fallait allier le courage physique et la finesse politique. Cela s'apprenait sans doute dans une école depuis longtemps disparue : l'École nationale de la France d'outre-mer, dont il était sorti en 1937, ayant également en poche un doctorat en droit et le diplôme de l'École des langues orientales et, en théorie, une belle carrière devant lui.
    L'épreuve du feu
    En fait, il est encore un jeune sous-lieutenant du contingent au 12e régiment des tirailleurs sénégalais quand éclate la guerre. Et ce sera, dès juin 1940, son passage à Londres et son engagement dans les Forces françaises libres. Le voici entrant dans la légende sans encore le savoir : il est affecté à la 13e demi-brigade de Légion étrangère (13e DBLE).
    Chef de section, puis commandant de compagnie, il est engagé en 1940 dans les expéditions de Dakar puis du Gabon ; en 1941, il fait campagne en Érythrée puis en Syrie ; en 1942 et 1943, c'est la Libye avec Bir Hakeim et El Alamein, deux des plus glorieux combats de la France Libre, puis suit la Tunisie. Après la libération de Paris, aux côtés de la 2e DB, après la campagne de France et la conquête de l'Allemagne, de nouveau avec la 13e DBLE, Pierre Messmer aurait pu, comme tant d'autres compagnons de la Libération, rentrer dans le rang.
    Il n'en est rien ; il va continuer de servir la France, sous un autre uniforme. Son passage à la tête de la mission française à Calcutta est éphémère : en 1945, il reçoit une mission hors du commun, accepte d'être parachuté au Tonkin où il tombe entre les mains du Viêt-minh, s'échappe et rejoint la mission française à Hanoï. Enfin démobilisé, il devient secrétaire général du comité interministériel pour l'Indochine puis, en 1947 et 1948, directeur du cabinet du haut-commissaire de France en Indochine.
    L'Africain
    Une série d'affectations lui permet ensuite de découvrir l'Afrique et de s'imprégner des mentalités et des cultures de ces pays qui, un jour, se sépareront de la France, mais avec lesquels il conservera personnellement des liens privilégiés ; parce que les futurs chefs d'État savent qu'il les a compris, même s'il connaît leurs défauts et les dérives menaçant les anciennes colonies. Le voici commandant du cercle d'Atar (1950-1951) puis gouverneur de la Mauritanie (1952-1954), gouverneur de la Côte d'Ivoire (1954-1956), haut-commissaire au Cameroun (1956-1958) puis en Afrique équatoriale française (1958), enfin haut-commissaire général en Afrique occidentale française (1958-1959). Mais, chemin faisant, il est passé par un cabinet ministériel en 1956, à la France d'outre-mer, dont Gaston Defferre est le ministre. Et là, Pierre Messmer travaille sur une loi-cadre préparant l'évolution de l'Afrique française. Une évolution qui prendra un autre tour avec la naissance, en mai 1958, de la Ve République.
    L'avènement de la Ve République change totalement le cours de sa carrière : on va oublier « l'Africain » pour retrouver « le légionnaire » : il devient ministre des Armées le 6 février 1960, fonction qu'il conservera, d'un gouvernement à l'autre, jusqu'à une autre secousse, celle de Mai 68... qui en fera le député de la Moselle ! Député certes, mais avec une carrière ministérielle à reprendre : les DOM-TOM de 1971 à 1972, avant l'Hôtel Matignon.
    Pierre Messmer - qui, comme beaucoup de gaullistes intransigeants, avait redouté que Jacques Chaban-Delmas et sa « nouvelle société » ne dérapent quelque peu - allait en effet succéder à celui dont tous se méfiaient : Chaban éliminé, c'est Messmer que Georges Pompidou fait monter en première ligne.
    Non à l'Élysée
    Ses amis en viendront très vite à regretter qu'il se connaisse si bien, qu'il mesure ses propres limites, que l'ambition ne l'égare jamais : à la mort de Georges Pompidou, il faut faire bloc pour sauver l'Élysée qui menace d'échapper à la famille gaulliste ; car déjà pointe un certain François Mitterrand. Et il y a beaucoup trop de monde, dans l'autre camp, pour rêver à la succession de Pompidou ; Chaban-Delmas par exemple, ou Valéry Giscard d'Estaing, qui propose son retrait aux gaullistes si tout le monde s'accorde sur un candidat unique, sous-entendu pour barrer la route à Chaban. Et les gaullistes pensent à Pierre Messmer. Il les écoute et refuse ; ils insistent, mais il ne fléchit pas ; ils le harcèlent, mais il ne dira jamais oui. Chaban sera candidat, comme Giscard, comme Mitterrand... Au second tour, Giscard l'emporte sur Mitterrand. Et curieusement, Pierre Messmer ne redeviendra jamais plus ministre.
    L'homme de l'Est se replie sur la Lorraine. Il est heureux d'être député de Moselle depuis 1968, maire de Sarrebourg depuis 1971, président du conseil régional de 1978 à 1980. Il ne quitte pourtant pas la scène politique ; il reste un homme d'influence peu habitué à cacher ses sentiments, ce qui fâche peut-être les amis de Valéry Giscard d'Estaing lorsqu'il annonce, en 1981, que sept ans, ça suffit, et que Giscard a tort de briguer un second mandat. Les insuffisances de la politique sociale et, plus encore, les échecs africains de Giscard sont pour beaucoup dans ce choix. Ceux qui le voyaient se rallier à Debré contre Mitterrand seront également déçus : pour Messmer, le seul candidat méritant d'être soutenu par les gaullistes de tradition s'appelle Jacques Chirac... Il devient donc son directeur de campagne, au PC de la rue de Tilsitt. Et Chirac, plus tard, lui confiera encore une mission : tenir en main le groupe parlementaire RPR du Palais Bourbon.
    Avec une autre présidentielle perdue, en 1988, au terme des deux années de cohabitation, puis avec les législatives également perdues dans la foulée, l'effet boule de neige existant aussi en politique, les contrecoups sont cruels pour Pierre Messmer : en juin 1988, il perd son mandat de député ; l'année suivante, il renonce à défendre sa mairie de Sarrebourg : « Si j'étais élu, j'aurais 79 ans en fin de mandat. Il faut parfois se déterminer par rapport à soi-même. C'est la sagesse qui le veut. »
    Discrète éminence grise
    Et sagement, il s'était éloigné. En apparence tout au moins, car il avait toujours ses contacts politiques, toujours ses relations africaines. Avec un fond de tristesse qui ne le quittait jamais plus depuis le décès de son épouse, qui avait tant étonné les journalistes, à l'arrivée de Pierre Messmer à l'Hôtel Matignon, en leur déclarant tout de go : « N'est-ce pas qu'il est beau mon légionnaire... »
    Il était donc devenu une discrète éminence grise pour satisfaire le présent et même l'avenir. Il s'était aussi tourné vers son propre passé, rédigeant un ouvrage de souvenirs, Après tant de batailles, (Albin Michel), ouvrage qui lui avait valu d'être primé par l'Association des écrivains combattants.
    Ce sont aussi ses états de service militaires qui allaient lui permettre d'être élu à l'Académie française en 1999, au fauteuil d'un autre gaulliste historique, Maurice Schumann. Également membre de l'Académie des sciences morales et politiques, puis chancelier de l'Institut de France, Pierre Messmer était, depuis longtemps, devenu l'un des gardiens du temple gaulliste : président de l'Institut Charles-de-Gaulle, puis de la Fondation Charles-de-Gaulle, il avait succédé au général de Boissieu, gendre du général de Gaulle, comme chancelier de l'ordre de la Libération, qui est le véritable sanctuaire du gaullisme.