Recueil de poèmes en hommage aux deux auteurs
Michel Polac, "La vie incertaine"
par Jérôme Dupuis
Avant d'entamer sa longue carrière sur les ondes, l'animateur de Droit de réponse avait publié La Vie incertaine, un premier roman très autobiographique. A l'occasion de sa réédition, il se souvient de ses «fifties» et de sa - brève - aventure avec Françoise Sagan.
Il extirpe délicatement le volume de la bibliothèque du merveilleux appartement parisien où il vient de s'installer. A travers une treille de glycines en fleur, on aperçoit en contrebas le Jardin des Plantes. Sous les fenêtres, donc, les braiments incongrus d'un baudet du Poitou. L'ouvrage exhumé est une rareté: parue en 1956 sous la couverture blanche de Gallimard, cette Vie incertaine était signée par un jeune inconnu de 26 ans, Michel Polac. Sûr de son effet, le maître des lieux en extrait une feuille soigneusement pliée. «Grâce à ma cousine, Florence Malraux, j'ai pu obtenir les notes ultrasecrètes du comité de lecture de Gallimard à propos de mon roman.» L'une d'elles, signée d'un certain Albert Camus, prévenait: «L'auteur est à suivre de près: il est intelligent, direct et parfois émouvant.» Son autre parrain dans la maison s'appelle Jean Paulhan. «J'ai eu la grosse tête et j'étais persuadé d'avoir le Goncourt. Quel naïf j'étais! J'en ai vendu 700 exemplaires...»
Un demi-siècle plus tard, alors que l'on réédite cette Vie incertaine, on retrouve Michel Polac, 77 ans, tel qu'en lui-même. Ne manquent que la pipe et la moustache - «Je l'ai coupée, on me confondait avec Bellemare...» Mais le foulard, les lunettes en demi-lune et, surtout, la voix doucereuse, la célèbre voix de Droit de réponse, sont toujours là. Cette réédition l'amuse. En effet, cette Vie incertaine est un peu plus qu'une curiosité: un petit roman fifties légèrement démodé, mais non dénué de charme. «Je l'ai écrit dans une cabane perdue, en Norvège, au-dessus d'un fjord enneigé, alors que je montais vers le cap Nord en 2 CV.»
Comme tout premier roman, celui-ci est très largement autobiographique. Première clef: «Un jour où ma mère était absente, j'ai retrouvé une liasse de lettres d'amour signées d'un certain Bob. Elles coïncidaient avec la période où j'avais été conçu. Pourtant, mon père, un ancien Croix-de-Feu qui avait eu la bêtise de se déclarer comme juif et a disparu en fumée à Auschwitz, était une icône pour moi. Mais, en relisant les lettres de plus près, je me suis aperçu qu'elles étaient écrites par une... femme! C'était une entraîneuse de boîte lesbienne avec laquelle ma mère a eu une brève aventure.» Episode suffisamment troublant pour nourrir la quête des origines qui traverse La Vie incertaine.
L'autre versant du roman épouse la vie vagabonde du jeune Polac, qui, à 18 ans, a pris la route, encore sous le choc de Travaux, un récit de Georges Navel, anar engagé aux côtés des républicains espagnols. Il exerce mille métiers: ouvrier dans une usine de serrures frigorifiques à Saint-Ouen, agent d'assurances au porte-à-porte, mousse sur un bateau de pêche à Cassis... Et puis, alors qu'il fait les vendanges à Béziers, un ami lui téléphone: «Rentre vite à Paris! Ton projet d'émission de radio a été accepté!»
C'est le début - à 22 ans! - d'une deuxième vie, plus parisienne et littéraire. «J'ai commencé par monter En attendant Godot sur les ondes. A l'époque, Beckett était inconnu. Il m'a pris sous son aile et a toujours été extrêmement chaleureux avec moi.» Suit Le Masque et la plume, qu'il crée en 1955, et puis, donc, cette Vie incertaine. Mais son deuxième roman est sèchement refusé par une lettre type signée Gaston Gallimard. Un choc dont il ne se remettra jamais vraiment.
Alors, ce grand séducteur se console dans les bras des femmes. Il y a prescription, on peut donc évoquer son aventure avec... Françoise Sagan! Le misanthrope bougon et le feu follet. «C'était en plein succès de Bonjour tristesse. On allait à Saint-Tropez. Je me souviens encore du déjeuner où Otto Preminger a signé le contrat pour l'adaptation du roman. Le problème, c'est qu'à l'heure où elle sortait en boîte j'allais me coucher et que, lorsqu'elle rentrait au petit matin, je partais me baigner. Cela ne pouvait pas durer...» Ainsi prit fin la - très - brève période jet-set de Michel Polac.
Cet inlassable lecteur de Dostoïevski (son vieil exemplaire rafistolé des Frères Karamazov est toujours là, dans sa bibliothèque) lance alors des émissions de télévision - Bibliothèque de poche, Post-scriptum... - où il interviewe son idole, Witold Gombrowicz, à Vence, quelques mois avant sa mort, mais aussi Jean Renoir ou François Mitterrand. «le futur président parlait de Barrès, Chardonne, Cocteau, bref de ses goûts d'honnête notaire de province, mais de façon très guindée. Son secrétariat m'a appelé pour que nous fassions une seconde prise. Nous l'avons faite. Il était toujours aussi raide.»
Polac aime se brouiller avec ceux qu'il a lancés
Mais le critique littéraire Polac - aujourd'hui à Charlie Hebdo - n'aime rien tant que faire découvrir d'illustres inconnus aux Français. «J'ai défendu Cioran dès 1960. Il m'invitait chez lui à boire le thé, manger des petits gâteaux, et voulait tout savoir sur les coulisses de la télé. D'ailleurs, lorsque Droit de réponse a été déprogrammé, il a signé une pétition en ma faveur, ce qui m'a beaucoup touché.»
Parmi les auteurs qu'il a largement contribué à lancer, citons John Fante, Luis Sepulveda, Marc-Edouard Nabe ou Michel Houellebecq. «Après mon compte rendu élogieux d'Extension du domaine de la lutte, nous nous sommes pas mal vus avec Houellebecq. Il est passé avec son épouse me saluer dans ma bergerie des Cévennes. Un soir, il m'a même entraîné dans une boîte échangiste de Cap-d'Agde. Je suis resté entièrement habillé et il me l'a reproché...»
Car, par-dessus tout, fidèle à sa réputation, Polac aime se brouiller avec ceux qu'il a lancés: Nabe, Houellebecq et même Kundera, après un retentissant article, Kundera, go home!, où il conseillait au romancier d'origine tchèque d'écrire dans sa langue natale plutôt que directement en français! Il excelle - ou exaspère - encore aujourd'hui dans ce rôle de tonton flingueur, au côté de Laurent Ruquier, aux heures tardives du samedi soir sur France 2. Tapie et Doc Gynéco ont même quitté le plateau sous les assauts de cet atrabilaire. Il en sourit: «Oh, vous savez, moi, tant qu'on me laisse parler de littérature et réciter des poèmes coréens, même entre deux starlettes...»
La Vie incertaine
Michel Polac
éd. Neige, Ginkgo
258 pages
15 €
98,39 FF
http://livres.lexpress.fr/portrait.asp/idC=12746/idR=5/idG=8